Cyrille, Stéphanie et Sophie sont pharmaciens adjoints et porteurs d'un handicap. Si cette situation perturbe plus ou moins leur quotidien professionnel, elle n'entame pas leur détermination à faire leur métier, celui qu'ils ont choisi et qu'ils aiment.
Invisible ou visible, il faut apprendre à vivre avec le handicap.
En 2012, suite à un accident de moto, Cyrille Magnac a perdu entre 10 et 15 % de mobilité au niveau de sa main droite, dont 50 % au niveau du majeur. « Il m’a fallu réapprendre de nombreux gestes et cela a pris du temps », explique le pharmacien de 43 ans. Depuis, Cyrille a quitté son poste en CDI pour ne faire que des remplacements. Il n'évoque jamais son handicap dans le milieu professionnel. « Je ne vois pas l'intérêt d'en parler. C'est un handicap invisible. Il ne m'empêche pas de travailler normalement ; j'utilise mon pouce et mon index pour saisir les boîtes de médicaments ou tenir les ordonnances. »
Mais quand le handicap devient visible et évolue, la poursuite de la pratique officinale est régulièrement remise en question. Pharmacienne titulaire puis adjointe, Sophie B. souffre de graves problèmes de dos : « Je vis avec huit hernies discales de bas en haut de ma colonne vertébrale totalement déformée. J’ai subi quinze interventions en dix ans. » Aujourd’hui, Sophie se déplace avec une canne, un accessoire qui a transformé le comportement de ses collègues vis-à-vis d'elle : « Depuis que j'utilise la canne, mes collègues me prennent plus au sérieux. Je ne souhaite pas résumer ma vie à mon handicap, mais une compréhension de l'entourage est un véritable soutien. »
La volonté et un environnement adapté.
Pour elle, pas question d’arrêter l’officine : « Mon travail c’est ma passion, c’est ce qui m’a aidé et qui continue à me faire tenir encore aujourd’hui. » Depuis dix ans, Sophie est en invalidité de catégorie 1 : « C’est un peu comme un joker. Ce statut me protège si mon état se dégrade et permet une prise en charge à hauteur de 30 % de mon salaire. »
Comme pour Sophie, le handicap de Stéphanie Achard de la Vente est évolutif. Atteinte d'une myopathie, elle a été contrainte d'abandonner son poste récemment : « J’ai été licenciée pour inaptitude. Dans une grande boîte, un reclassement aurait pu être proposé. Mais en officine, c’est plus difficile. » Malgré quelques propositions de son employeur, Stéphanie a admis que le comptoir n'était plus compatible avec son état : « Je sais que l'officine, c'est terminé pour moi. Je dois en faire le deuil. Même avec le robot, l’activité devenait difficile. » Émue aux larmes, Stéphanie n'oublie pas le soutien et la bienveillance dont ont fait preuve les patients à son égard : « Chaque fois que j'étais en arrêt, ils avaient toujours une gentille attention que mon titulaire me transmettait. » À l'officine ou ailleurs, Stéphanie n'en reste pas moins pharmacienne ; elle cherche un poste de conceptrice pédagogique dans une société de formations e-learning. « À 45 ans, je ne suis pas totalement périmée. Je vaux encore quelque chose sur le marché du travail. »
Un milieu professionnel trop souvent insensible.
Dès 2015, Stéphanie a bénéficié d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : « Ce statut a permis à mon premier titulaire de percevoir une compensation financière de la baisse d’activité causée par mon handicap. » Elle regrette néanmoins l’énergie et le temps que prennent les démarches administratives.
Quant à Sophie, elle exerce depuis trois ans dans une pharmacie dirigée par un titulaire très compréhensif : « Il m'a aménagé un poste en télétravail pour gérer le planning de l’équipe (qui compte vingt collaborateurs). Après le transfert dans la nouvelle officine, il a fait installer un robot, et un lit dans la salle de repos, pour que je puisse m’allonger. » Une collaboration exemplaire, loin d'être une généralité. « C’est vraiment paradoxal : en tant que professionnels de santé, les pharmaciens peuvent être d’une intolérance incroyable vis-à-vis d’un employé handicapé. J'ai vécu des expériences difficiles dans certaines officines. Ces comportements m’ont choqué. Pourtant, le handicap n’enlève rien aux compétences que nous apportons à l’entreprise », confie Sophie. Elle en appelle aux représentants de la profession pour prévenir la discrimination au handicap dans le monde officinal.
Des solutions à activer.
Pour Sophie, ces comportements naissent avant tout d'une méconnaissance des dispositifs d'accompagnement. « Il y a des réponses, il ne faut pas hésiter à les activer. La mission de l’Agefiph est de construire ces réponses pour que les personnes en situation de handicap accèdent à l'emploi ou puissent continuer à travailler, et que les employeurs développent des entreprises inclusives », souligne Hugues Defoy, directeur de la mobilisation du monde économique et social à l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées).
Concrètement, l’Agefiph met à disposition des aides pour financer un équipement qui compense le handicap, et des ressources tels que des ergonomes pour adapter un poste de travail. « Notre offre de service et nos aides sont mobilisables pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, que ce soit pour l'employé ou pour l'employeur en situation de handicap. Autrement dit, les titulaires d'officine sont aussi éligibles à notre intervention. Le prérequis est d’être bénéficiaire de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, ce qui implique une reconnaissance administrative du handicap (RQTH, rente accident du travail, pension d’invalidité, allocation adulte handicapé, carte d’invalidité). » Les pharmacies de moins de vingt salariés ne sont pas assujetties à l’obligation d'employer des travailleurs handicapés, mais si c'est le cas, une déclaration de ces emplois est obligatoire auprès de l'Urssaf : « Cette déclaration est essentielle parce que les données collectées permettront de disposer de chiffres plus précis sur l'emploi de collaborateurs handicapés dans le secteur officinal. »