Le Quotidien du pharmacien.- On fait souvent un portrait assez alarmant de la pharmacie rurale, soumise à des contraintes extérieures qui la handicapent sur le plan économique. Pour autant, les ratios publiés dans votre récente étude semblent contredire cette vision. Qu’en est-il réellement ?
Philippe Becker.- Notre étude donne une image moyenne et, comme toute image moyenne, elle recouvre des situations disparates. Les chiffres indiquent que cette typologie d’officines est plutôt plus rentable que les autres malgré un niveau d’activité en moyenne plus faible que celui des officines urbaines. Il n’y a donc pas un décrochage comme on l’entend dire souvent. En tout cas le problème ne se situe pas vraiment sur la profitabilité.
Quelles sont les forces et faiblesses des officines de campagne ?
Christian Nouvel.- Sur les points forts, on note une marge brute plus élevée que celle des pharmacies urbaines (+0.5 %), des frais de personnel bien mieux maîtrisés, avec un écart favorable de 0,5 point comparé aux officines urbaines, un niveau des frais généraux plus bas également, ce qui au total donne une performance en termes de profitabilité plus forte : soit plus d’un point par rapport à l’ensemble de notre panel.
Bien évidemment, on ne peut pas gommer ce qui apparaît comme des faiblesses – on note un chiffre d’affaires moyen inférieur de 10 % par rapport à l’officine standard et une croissance atone de l’activité depuis plusieurs années. Ce phénomène est lié à la désertification médicale, ce qui est aujourd’hui, chacun le sait, le sujet majeur d’inquiétude !
À propos de cette profitabilité, n’est-elle pas la conséquence d’un surinvestissement du pharmacien lui-même ?
Philippe Becker.- C’est difficile à mesurer de manière concrète mais il est certain que par l’importance et l’ampleur des gardes, un pharmacien exerçant en milieu rural est contraint d’être présent sur place beaucoup plus qu’en milieu urbain. Ce type d’exercice est un choix assumé, sachant que la contrepartie est, selon nos clients, un exercice professionnel de meilleure qualité qui permet de se consacrer vraiment à son métier. L’officine rurale est toujours très centrée sur la dispensation de médicaments remboursables puisque cette activité représentait, en 2018, 76,41 % des ventes (honoraires compris). C’est 2 % de plus qu’en pharmacie de centre-ville et 9 % de plus qu’en pharmacie de centre commercial.
Si vous deviez promouvoir la pharmacie rurale à des jeunes diplômés, que leur diriez-vous ?
Christian Nouvel.- Exercer dans les territoires, comme il est désormais commun d’appeler nos belles campagnes, c’est un retour aux sources – c’est donc difficile et exigeant mais, en contrepartie, cela crée un espace de liberté pour travailler auprès d’une patientèle qui a un besoin fort du pharmacien et qui lui en est reconnaissant. C’est avoir plus de temps probablement, moins de pression et se sentir comme un acteur de santé incontournable. C’est aussi l’espace où les nouvelles missions pourront certainement se développer le plus, ainsi que la télémédecine, par exemple.
Et pourtant il y a une désaffection pour ce type d’officine. S’explique-t-elle par le risque lié à la perte des prescripteurs ?
Philippe Becker.- La disparition des prescripteurs n’est pas nouvelle mais le phénomène a pris de l’ampleur et touche de nombreuses communes. C’est la grosse ombre au tableau depuis 10 ans. Cela engendre effectivement une psychose auprès des jeunes diplômés, ce qui rend parfois invendables certaines pharmacies. L’état d’esprit des médecins a changé en 30 ans, non pas que les généralistes n’aiment pas la campagne, mais parce que le travail en solitaire fait peur et apparaît comme stressant face à l’urgence et à l’attente des malades.
Les maisons médicales regroupant médecins et paramédicaux sont une forme de réponse ? Le pharmacien y a-t-il sa place ?
Christian Nouvel.- Oui bien sûr ! Mais la maison médicale est dans certains cas un facteur qui peut déstabiliser une ou plusieurs officines au profit d’une autre, nous l’avons parfois constaté. En tout cas cela répond probablement mieux au besoin des communes rurales grâce à une unité de lieu de soin et une facilité d’accès. Le travail en groupe et en équipe est dans l’air du temps et il faut avoir à l’esprit que les modèles d’éducation et de formation intègrent depuis plusieurs décennies cette approche dans la façon de travailler, quelle que soit la profession.
Cependant, cela reste très complexe car chaque commune veut ses services et commerces de proximité et l’officine fait partie intégrante du service public de santé. Comment fait-on avec 36 000 communes ? C’est un des grands défis que notre pays affronte aujourd’hui dans un contexte où les déficits publics militent pour la mise en commun des ressources et pour la rationalisation.
Comment concilier tout cela ?
Philippe Becker.- Si on exclut de faire un référendum d’initiative populaire pour savoir si on garde ou on supprime la campagne (!), il est objectivement nécessaire de trouver des solutions pour maintenir ce que la population souhaite : une égalité d’accès aux soins quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
L’équation est compliquée à résoudre, mais concernant l’officine rurale, certains pays comme l’Italie, attribue pour maintenir la densité du réseau rural, une rémunération complémentaire aux pharmacies de cette typologie pour les services spécifiques rendus à la population. Toutefois, on ne parle pas de subvention car le terme à une connotation négative !
On pourrait imaginer aussi que des pharmacies rurales puissent, suivant des critères stricts, avoir un établissement secondaire ouvert quelques heures par jour pour maintenir un point d’accès aux médicaments dans des petites communes où l’officine existante ne peut plus atteindre un niveau d'activité critique et risque de fermer. Il faudra être à la fois réaliste et inventif !
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