CE SONT à des débats apaisés qu’ont été conviés les participants à l’audition publique organisée par l’OPECST. Pourtant, le sujet avait donné lieu à des débats passionnels entre opposants et défenseurs du principe de précaution au moment de l’élaboration de la Charte de l’environnement et de son introduction dans la Constitution. Claude Birraux (député UMP de Haute-Savoie), en maître de cérémonie, avait prévenu : « Les rapports entre science et société sont aujourd’hui problématiques. »
À contre-pied de l’équation baconienne « savoir = pouvoir », le président de l’OPECST assure que désormais « le pouvoir est aux mains de celui qui parvient à partager ses connaissances ». C’est donc en tant que spécialiste de la « gestion des interfaces » qu’il entendait ouvrir le dialogue entre d’un côté des scientifiques prompts à brandir la menace du « principe du parapluie », entrave au progrès et source d’immobilisme, et de l’autre une société civile méfiante, se réfugiant derrière un principe de précaution perçu comme un moyen de protection contre un avenir incertain.
La crainte du juge.
Les juristes venus témoigner de l’évolution jurisprudentielle se sont montrés plutôt rassurants. « Derrière les débats sur le principe de précaution, il y avait aussi la crainte du juge, de ce qu’il allait faire du principe. Les rédacteurs de la Charte ont tenté de l’encadrer le plus possible », a expliqué Yves Jegouzo, professeur agrégé de droit à l’université Paris-I. La jurisprudence supranationale, telle que la dessinent les décisions de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et de la CJCE (Cour de justice des communautés européennes) va dans le sens d’une plus grande homogénéisation.
Une prolifération du social.
« La CJCE a pris des distances par rapport à une vision extrêmement large, presque maximaliste du principe de précaution », a souligné Christine Noiville, directrice du Centre de recherche en droit des sciences et des technologies. Dans un mouvement inverse, « l’OMC reconnaît désormais que la preuve scientifique est un concept très relatif, qu’un État responsable peut tout à fait vouloir attacher de l’importance à un risque non encore avéré par la démonstration scientifique et prendre des mesures », poursuit-elle.
Le consensus tel qu’il se dégage vise à plus de rigueur scientifique, notamment, dans l’évaluation du risque redouté. Celui-ci « ne doit pas être un simple fantasme, il doit être fondé sur des éléments sérieux qui démontrent que le risque est à tout le moins plausible même s’ils ne lèvent pas l’incertitude », a-t-elle rappelé. La décision française d’interdire des bonbons enrichis en vitamines a par exemple été déclarée illégale par l’OMC parce qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’existait pas d’indices suffisants démontrant qu’il pouvait y avoir un risque. La nécessité d’une évaluation rigoureuse et précise fait du principe de précaution « un principe procédural » et « un principe d’action » qui exige une méthode, la démarche scientifique, et conduit à des mesures « proportionnées au risque (du simple engagement de recherche à l’interdiction), provisoires et révisables ».
Processus dynamique, donc, qui autorise les choix et qui, loin de conduire à se défier de la science, se fonde sur son expertise. La réaction des scientifiques ne s’est pas fait attendre. « Image idéalisée du principe de précaution », a rétorqué Roland Masse, membre fondateur de l’Académie des technologies. S’il reconnaît la légitimité du principe, « il constate aussi qu’il existe une demande sécuritaire exacerbée et mal informée à l’origine de dérives », surtout dans le domaine de la santé, et dénonce une certaine « prolifération du social qui angoisse les scientifiques » et des conditions d’application aux « effets paralysants sur la recherche et l’innovation ». Michel Caboche, directeur de l’INRA et membre de l’Académie des sciences, a déploré l’avènement du « citoyen justicier », regrettant les décisions prises sous la pression des associations à propos du maïs MON 810, « en l’absence de faits avérés de dangerosité ». Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS, qui appelait de ses vœux l’introduction du principe de précaution dans la constitution, affirme aujourd’hui que cela « n’a presque rien changé. Ni les attentes ni les craintes n’ont été vérifiées et les dérives continuent ». Il a souligné, dans le cas du MON 180, un défaut de l’expertise et un manque de rigueur de l’évaluation du risque. Il a regretté tout comme le Pr Maurice Tubiana, de l’Académie de médecine, que la notion de bienfaits ou de bénéfices n’ait pas été ajoutée au texte.
Régression moyen-âgeuse.
Un point cependant a fait l’unanimité : le jugement de la cour d’appel de Versailles de février 2009 qui a condamné Bouygues Télécom à démonter une antenne relais. L’arrêt précisait : « Si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre pays, que l'incertitude sur l'innocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu'elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable. » Les plaignants, « qui ne peuvent se voir garantir une absence de risque sanitaire », pouvaient être « dans une crainte légitime constitutive d’un trouble ». Autrement dit, le risque n’est pas certain mais l’angoisse des riverains l’est et il convient, selon le tribunal, de le prendre en compte. « Le principe de précaution n’a pas rassuré les peurs. Au contraire, il les a renforcées en leur donnant un certain crédit. Il a donné le primat aux émotions sur la rationalité », a encore estimé le Pr Tubiana. « Régression moyen-âgeuse », comme l’invoque Christine Noiville, ou symptôme d’un changement profond, d’un au-delà du principe de précaution, comme le prétend le philosophe François Ewald, président de l’Observatoire du principe de précaution ? Selon ce dernier, la gestion du rapport social va prendre le pas sur celle du risque : « L’objectivation du risque va devenir dérisoire par rapport au choix qu’aura à faire la société. » Dans le cas des nanotechnologies, la question n’est plus de savoir si elles constituent un risque mais « dans quelle mesure la société autorise l’homme à aller au-delà de lui-même », conclut-il.
« Le législateur est resté à mi-chemin », a plaidé le vice-président Jean-Claude Étienne (sénateur de la Marne). « Le principe de précaution est une ébauche qu’il faut compléter aujourd’hui par un devoir d’innovation. »
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