Près de mille mètres carrés à Quissac, 1 600 m2 à Castres, autant au Havre dès le printemps prochain et bientôt 4 200 m2 à Roissy-en-Brie… C’est en centaines, voire en milliers de mètres carrés que se mesurent désormais ces officines d’un nouveau genre. Leurs titulaires ne fondent pas seulement leur stratégie sur les prix, mais aussi sur l'offre, quitte à référencer des marques de la GMS. Ils privilégient certes la parapharmacie tout en affirmant qu'ils ne renonceront pas à leur vocation de professionnels de santé. Et misent sur l’extension de leur surface de vente pour s’assurer une croissance proportionnelle de leur chiffre d’affaires.
Ces méga pharmacies qui surgissent dans les grandes villes ou leur périphérie, en Ile-de-France comme dans le centre de Paris, ne sont-elles qu’un épiphénomène à forte résonance médiatique ou une tendance de fond ?
Quoi qu’il en soit, l’émergence de ces grosses structures, qui n’hésitent pas à occuper des locaux désertés par des enseignes spécialisées dans les articles de sport, l’habillement ou encore l’ameublement, ne laisse pas la profession indifférente. Ceci vaut tout particulièrement pour les titulaires de leurs zones de chalandise qui observent d’un œil critique, sinon inquiet, ces officines qui adoptent les codes de la GMS : caisses multiples, chariots, opérations commerciales de grande envergure…
Ce gigantisme n’est pas nouveau. Toutefois, la cadence de ces ouvertures tend à s’accélérer en même temps que les surfaces de ces points de vente s’accroissent. La raison invoquée par ces acteurs en est simple. La concurrence de la GMS toujours plus agressive dans ses « shop in shop » et autres corners de parapharmacie, mais surtout l’offensive des acteurs digitaux, principalement étrangers, incitent les pharmaciens à grandir pour dégager une marge en euros sonnants et trébuchants. Quel autre facteur, sinon le volume, peut ainsi permettre aujourd’hui de faire la différence sur un marché où les marges oscillent entre 27 et 30 %, et souvent beaucoup moins ?
Taille critique
Certains groupements, comme autrefois le G9 ou le G7, devenu Pharmabest, dont sont issues bon nombre de ces pharmacies, revendiquent cette typologie d’officine. C’est le cas de Boticinal ou d’Elsie. « Les pharmacies Boticinal se veulent des pharmacies régionales de référence. Elles sont plutôt grandes, entre 300 et 800 m2, de manière à offrir un large choix en produits de santé, de soins, de beauté et de bien-être. Elles accueillent en moyenne 1 500 à 2000 clients par jour », explique François Rochet, président de Boticinal (sept adhérents).
Chez Elsie, un associé sur cinq dispose d’une superficie supérieure à 1 000 m2. Cinq associés se placent dans le top 10 des pharmacies françaises dont le chiffre d’affaires dépasse les 20 millions d’euros, et quinze de ses cinquante associés enregistrent un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros. Ce groupement coopératif de pharmaciens entrepreneurs vise à terme 100 pharmacies, une dans chaque département.
L’espace est un prérequis pour ce concept de pharmacies qui repose avant tout sur l’expérience client. Pour Elsie, il s’agit même d’un principe majeur de sa stratégie. « La superficie permet d’intégrer toutes les marques dans seize univers différents. Cette largeur et cette profondeur de gammes, y compris celles présentes en GMS, doivent servir à ne pas dire non au client, quitte à concurrencer les grandes surfaces sur ces produits grand public. Car l’expérience du point de vente reste essentielle », détaille Emmanuel Lataste, président de ce groupement qui dispose de 300 accords-cadres avec des laboratoires.
Une équation complexe
Ces enseignes, qui ne réfutent pas le terme de drugstore, n’admettent pas pour autant d’être réduites à de simples points de vente de para. « La vocation de nos pharmacies n’est pas d’aller vers une offre au rabais, un discount destructeur, mais plutôt d’offrir la meilleure expérience client par une offre adaptée, au prix juste et équilibré, permettant l’accessibilité des soins au plus grand nombre », expose François Rochet.
Elsie, qui place le « S » de santé au cœur de son logo comme de sa stratégie, estime ainsi que santé et bien-être ne sont pas antinomiques. Emmanuel Lataste affirme même que les activités des segments des TVA 20 % et 5,5 % soutiennent le positionnement santé du pharmacien Elsie, dont seulement 30 à 40 % du chiffre d’affaires sont réalisés sur le médicament remboursable. Loin d'être antagonistes ces deux pans d'activité sont à mener de front pour assurer la pérennité de l'officine, affirment les défenseurs du modèle. Ainsi, Sylvie et Olivier Vandermersch, qui s'apprêtent à transférer leur officine de l'Espace Coty au Havre pour en faire ce qui sera l'une des plus grandes pharmacies de France, déclarent ne vouloir en aucun cas renoncer à l’éthique de la profession et à la notion de pharmacie de proximité. Il n'est pour eux pas question de céder aux sirènes du low cost ou du « supermarché de la para », mais bien de proposer « un lieu de vie dédié exclusivement à la santé ».
Exercer dans un local spacieux est même la condition sine qua non pour poursuivre un exercice de professionnel de santé, comme l'assure Sophie Lefebvre. Cette titulaire de Lille projette un transfert à quelques dizaines de mètres de son officine de Wazemmes dans ce qui fut, pendant près d'un siècle, un grand commerce emblématique des arts de la table. Cette surface conséquente lui permettra non seulement de présenter une offre para plus importante mais aussi de disposer d'un espace suffisant pour exercer son cœur de métier. En effet, bien qu'étant formée à la vaccination, la pharmacienne regrette aujourd'hui de ne pouvoir, faute de locaux adaptés, vacciner ses patients contre la grippe. Un comble alors que la région est aujourd'hui engagée dans l'expérimentation !
L'exiguïté des lieux n'est pas le seul frein. La taille restreinte des équipes en est un second. Une réalité qui fournit à Emmanuel Lataste un deuxième argument en faveur des grosses structures. « Car qui va pouvoir s'investir dans les bilans de médication, les diagnostics, la vaccination… sinon les pharmaciens qui, pouvant s'appuyer sur une équipe conséquente, pourront dégager du temps », fait-il remarquer.
Toutefois, il se pourrait bien que la flambée des prix de l'immobilier dans la plupart des grandes métropoles françaises ait raison, à moyen terme, de cet engouement pour les gigas pharmacies. Ne serait-ce que pour des raisons de rentabilité. En attendant, les observateurs redoutent les effets délétères et irréversibles de ces grosses structures sur le maillage officinal.
Un destin déjà éprouvé par la pharmacie suédoise, comme le rapporte Martial Fraysse, président du Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens (CROP) d'Ile-de-France : « Nos confrères suédois nous ont mis en garde récemment sur les conséquences de cette concentration du réseau. Chez eux, les grandes structures ont désorganisé le maillage au mépris de la santé publique puisque leur modèle de rentabilité ne tient pas compte de cette donnée. » Pour la Suède, il semble qu'il soit déjà trop tard. Pour la France, seule une décision politique peut endiguer les dérives, estime Martial Fraysse. Il émet ainsi l'idée de demander aux pouvoirs politiques d'entamer une réflexion sur la notion de « requalification du commerce ».
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion