Bien qu'elles se soient souvent trompées, notamment pour les régionales, les enquêtes d'opinion, multiples et concurrentielles, apportent des éléments identiques. La majorité populaire se situe franchement à droite et à l'extrême droite mais elle est divisée en divers conflits de tendances et la gauche est fragmentée, ce qui explique qu'Emmanuel Macron soit en tête au premier et au second tours. La première idée qui vient à l'esprit, c'est évidemment que M. Zemmour lui rend un excellent service en érodant la position de Mme Le Pen. M. Macron estime que les jeux, cependant, ne sont pas faits et il mobilise son énergie et ses troupes en s'efforçant de riposter à chacune des remarques négatives, mais très conventionnelles et pas toujours sincères, de ses opposants.
Si Éric Zemmour rassemble, pour le moment, 15 % de l'électorat, c'est parce qu'une forte partie de l'opinion, qui avait misé sur Marine Le Pen, est déçu par elle et lui préfère un candidat qui, loin de se « recentrer » comme elle a cru bon de le faire, veut occuper les bonnes vieilles lunes du souverainisme, du Frexit, de l'hostilité sacrée à l'immigration. De sorte que le remède à l'apathie du Rassemblement national consisterait à crier encore plus fort que M. Zemmour au sujet de ces maux dont la France serait accablée et qu'il faut guérir avec un remède de cheval.
Ce serait, bien sûr, un débat ultra démagogique et populiste qui peut encore séduire mais dont tout esprit sérieux pourrait se dispenser. La seule question qui compte porte sur le moment où s'arrêtera ou ne s'arrêtera pas la candidature de M. Zemmour. Ce qui a commencé comme un feu de paille peut se terminer par une victoire dans un pays assez déboussolé pour aller chercher quelque mésaventure historique. On aimerait bien que l'essayiste à succès sorte des thèmes favoris qui enthousiasment tant le peuple qu'il ne nous a encore pas dit comment il lutterait contre les inégalités sociales, contre le réchauffement climatique, pour le pouvoir d'achat et l'emploi.
Le silence n'est pas d'or.
Car il ne semble pas intéressé par ces lourds dossiers, lui qui sort rarement de l'immigration et de l'insécurité. Il se livre à des provocations auxquelles ses amis applaudissent ; il dit des contre-vérités comme le rôle de Philippe Pétain lors des années les plus sombres de notre histoire ; c'est un personnage certes original mais dont les idées, si bien colportées par le bouche-à-oreille, sont vieilles comme Mathusalem : souverainisme, racisme, intolérance, xénophobie. Comment un credo aussi négatif a été embrassé par une flopée d'électeurs ne doit pas surprendre : beaucoup de Français se croient victimes de la « crise » et pensent qu'en épousant les thèses les plus extrémistes, ils ne font qu'appliquer le principe de légitime défense.
C'est naïf. On est toujours le tyran de l'autre, soit parce qu'on est plus riche, soit parce que nous avons été colonialistes avant que nos soldats aillent mourir au Sahel, soit parce que les moins bien lotis d'entre nous trouvent insuffisante l'aide, pourtant colossale, qui leur est apportée. Des millions de nos concitoyens reçoivent des milliards d'euros de l'État, mais la répartition fait que le trop grand nombre de récipiendaires ne touchent que des sommes dérisoires. Il n'y a strictement rien à dire de ces effets paradoxaux de la démocratie qui, étant le moins mauvais des systèmes, n'est pas encore le bon.
On se gardera bien de faire des prévisions pour avril prochain, mais on peut espérer que le rythme de la campagne va diminuer sensiblement l'abstention ; on est sûr que se produiront de multiples rebondissements ; le suspense ne faiblira pas jusqu'au premier tour ; la partie sera disputée. Les démocrates ne doivent plus jouer à fleurets mouchetés : on dit souvent que c'est la critique incessante qui fait le jeu de l'extrême droite. Mais le silence le ferait tout aussi bien.