Il est fascinant d’observer de loin la Cité médiévale. Depuis l’A61, la ceinture de murailles dressée au sommet de la colline surgit comme un immense décor de cinéma fondu sur les montagnes du Minervois. Une architecture intègre et une rénovation parfaite renforcent cette perception factice. En ville, tout concourt pourtant à montrer qu’elle est réelle. Avec ses 52 tours et ses crénelures, ses ponts-levis et ses mâchicoulis, la Cité, inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997, écrase de sa pierre solide la bastide basse.
Pour y accéder depuis le Pont Vieux, il faut grimper. L’itinéraire passe par la Barbacane ou la Trivalle. Ancien quartier « espagnol », le premier est monté en gamme et livre ses commerces d’art et ses appartements locatifs. Le second se boboïse aussi, tout en gardant sa mémoire populaire : il a longtemps abrité une communauté gitane.
Double ligne de remparts
La colline a toujours servi de bastion. Gaulois, Romains et Sarrasins s’y sont installés, avant qu’une riche famille locale, les Trencavel, n’y prenne racine en construisant un château. Ils régneront sur la ville du Xe au XIIIe siècles. Devenue cathare, puis vaincue par les troupes de Simon de Montfort, la cité est l’objet de convoitises et se calfeutre derrière une double ligne de remparts. Est-ce son côté infranchissable qui la condamne ? Toujours est-il qu’elle tombe dans l’oubli et se dégrade. Elle ne se réveillera vraiment qu’au XIXe, quand Mérimée et Viollet-le-Duc décident de la ressusciter.
La visiter prend du temps. Étendue sur 11 ha, on peut la classer en deux parties : d’un côté, les rues archicommerçantes où la foule s’agglutine ; de l’autre, les espaces en marge où plane un air de virginité. On fuira donc la première et ses restaurants trop touristiques (exception faite du Comte Roger et de la bonne cuisine de Pierre Mesa) pour se glisser dans les recoins.
C’est ainsi que l’on découvre, près de la porte de Rodez, un microsecteur encore habité. Autour de la rue du Moulin-d’Avar, moins d’une cinquantaine de personnes vivent à l’année dans la Cité, la plupart âgées. La foule de visiteurs est aussi absente des Lices, l’esplanade qui sépare murailles extérieure et intérieure. Rue du Four-Saint-Nazaire et rue du Plô flotte toujours un air villageois. Foule ou non, il faudra visiter évidemment le château comtal et la basilique Saint-Nazaire. Moitié romane, moitié gothique, celle-ci est dotée de vitraux exceptionnels.
L'échiquier de la ville basse
La sortie par la porte de l’Aude précipite à nouveau vers le quartier de la Barbacane et le Pont Vieux. Piétonnier, ce dernier a été jeté sur l’Aude au XIVe. Cap dès lors sur la « ville neuve », cette bastide que tant de touristes ignorent. Décidée par Saint Louis au XIIIe siècle pour loger les habitants après la destruction des faubourgs situés sur les pentes de la Cité, elle offre son joli plan en damier au promeneur. Mais il ne faut pas croire que son destin fut moins tranquille pour autant. Détruite au XIVe par les Anglais, elle s’entoure aussi de murailles ! On en voit les vestiges aux bastions d’angle Montmorency et Saint-Martial.
Pour apprécier le tracé urbain, direction l’église Saint-Vincent. Cet exemple parfait de gothique languedocien est surmonté d’un clocher de 54 m, accessible par un long escalier (232 marches). D’en haut, l’échiquier de la ville basse est net et précis. Même si elle n’a pas le charme des bastides du Sud-Ouest, elle mérite une belle promenade.
On ira voir la place centrale Carnot, hôte d’un marché trihebdomadaire. On se perdra dans quelques rues, histoire d’observer de belles demeures, la maison du Sénéchal, l’hôtel de Murat, celui de Rolland, qui abrite la mairie… La plupart témoignent de fortunes drapières, jadis spécialité de la ville. À vocation commerçante, la cité basse est hélas victime d’un certain déclin. Pas-de-porte vacants et habitat parfois dégradé ne sont pas rares. C’est la face émergée d’une ville et d’un département classés parmi les moins riches de France.
Il n’empêche. Aux beaux jours, Carcassonne retrouve la saveur du Midi et sa légendaire convivialité, en plein pays du cassoulet. On éprouvera un certain entrain à se balader dans les rues commerçantes et piétonnes Clemenceau et Courtejaire, à franchir le portail des Jacobins donnant sur la place du Général-de-Gaulle, face au bâtiment militaire du 3e RPIMa. En poussant jusqu’à la gare, on franchira le Canal du Midi et son écluse. L’occasion de balades piétonnes sur ses rives ou mieux, en pénichette de location. C’est la meilleure façon d’aller en campagne déguster des vins dans les domaines des villages environnants.