Les électeurs encore libres de s'exprimer croient de plus plus en plus qu'un homme d'État ne doit pas être nécessairement un intellectuel, ou expérimenté, ou plus capable que d'autres d'examiner un dossier et de trouver des solutions. Dans le cas de Trump, la plupart des avis favorables sont appuyés sur sa connaissance des affaires. Son absence de concentration, son ignorance des faits réels aggravée par son incapacité à lire plus longtemps que quelques minutes, ses lacunes en matière géographique et historique font de lui un président encore plus ignare que ne le furent Ronald Reagan ou George W. Bush.
De sorte que Trump est plus comparable à un dictateur qu'au dirigeant d'une démocratie. Ses manipulations des règles, ses abus de droit, cette audace sinistre avec laquelle il envisage de ne pas reconnaître le verdict des urnes fait de lui une menace directe sur les libertés, dans un pays qui a réinventé la démocratie et fait de la liberté non seulement une statue monumentale mais sa priorité. Il ne s'agit pas d'une prédiction mais d'un constat : ce qui se passe aux États-Unis est alarmant parce que les Américains sont violemment divisés et finiront par se battre, parce que la colère des minorités produit déjà des émeutes, parce que les suprémacistes blancs sont armés jusqu'aux dents et ne rêvent que d'en découdre avec les Noirs, parce que rien n'a été fait par le président et par le Congrès pour rapprocher les citoyens, que tout a été fait pendant quatre ans pour les jeter les uns contre les autres.
Populisme, maladie contagieuse
Quand tous les moyens de la démocratie ont été épuisés pour introduire plus d'égalité dans un pays, l'émeute, peut-être la guerre civile, deviennent les seuls moyens d'obtenir un changement. Loin d'exalter les vertus d'un système censé protéger les droits de tous, Trump s'est mis à ressembler, chaque jour un peu plus, à Poutine, à Loukachenko, à Erdogan, à Xi Jinping, à Bolsonaro. Il est d'ailleurs plus à l'aise dans cette catégorie-là que parmi les chefs d'État et de gouvernement des démocraties européennes. Il faut mesurer le coup ainsi porté à toutes les démocraties, par exemple quand le sinistre clown qui dirige la Corée du nord est présenté par Trump comme un jeune homme charmant. Il a fini par s'arracher à la séduction qu'exerçait sur lui Kim Jong Un mais n'a jamais été scandalisé par les effroyables exactions de son régime.
Ce qui porte Trump, c'est, bien entendu, le populisme. C'est une maladie aussi contagieuse que le coronavirus et elle a gagné des contrées que l'on croyait à l'abri. Même en France, il y a longtemps que les syndicats, les gilets jaunes et les partis extrêmes ne croient plus aux institutions et aux élections. Les gilets jaunes sont toujours ravis de tout démolir parce qu'ils ne votent pas et sont indifférents aux élections. Comme par hasard, Trump a déjà dit qu'il se réservait le droit (divin) de ne pas accepter le résultat du scrutin du 3 novembre. Les démocraties voient donc fleurir autour d'elles, quand elles ne sont pas elles-mêmes empoisonnées par un populisme toxique, des systèmes de plus en plus autoritaires et inacceptables.
Il est significatif, à cet égard, que les gilets jaunes n'aient jamais manifesté que pour obtenir des baisses d'impôts et des hausses de salaires, pas pour la liberté de vivre, comme les Afro-Américains, pas pour l'égalité avec les hommes, comme les femmes américaines. La protestation en France est aux mains de groupes qui demandent de l'argent comme s'il en pleuvait et refusent de travailler plus comme si le travail réglementé et payé n'était pas l'espace de la dignité humaine. Mais ces groupes ne réclament jamais plus de liberté. Ils ne s'intéressent pas à la liberté d'expression puisqu'ils ne lisent plus les journaux. Ils ne sont plus libres penseurs puisqu'ils ont échangé leur foi contre des dogmes totalitaires. Ils ne savent même pas qu'ils ne sont pas vraiment libres et ils ne militent pas pour la liberté. Avez-vous vu que, spontanément, des foules françaises protestent contre le régime turc, prennent la défense des Kurdes, réclament la liberté de Hongkong et des Ouïgours, s'affolent pour le sort de Navalny ? N'est-ce pas consternant ?