On sait combien Mme Merkel était soucieuse des conséquences de la pandémie sur la stabilité économique et financière de l'Union et bien sûr de l'Allemagne. Elle était notamment opposée à la fameuse mutualisation des dettes car la plupart des épargnants allemands y voyaient un instrument pour leur faire payer les largesses accordées aux pays dits du Sud, qui sont déjà très endettés. La Cour suprême allemande a même rendu il y a peu un jugement interdisant la mutualisation et le rachat par la Banque centrale européenne (BCE) des dettes contractées par les membres de l'UE en difficulté financière.
La décision de la Cour suprême allemande est d'une légalité discutable. La Commission européenne, dirigée par Ursula von der Leyen, une Allemande, a eu tôt fait de rappeler à la Cour de Karlsruhe deux points de droit irréfutables : d'abord que la BCE jouit d'une totale indépendance et ne peut donc pas être rappelée à l'ordre par une instance nationale ; ensuite qu'il y a un tribunal qui fait force de loi contre les institutions allemandes, fussent-elles les plus prestigieuses, c'est la Cour européenne de Justice. Les cercles de pouvoir à Bruxelles et à Strasbourg sont d'ailleurs restés de marbre après le verdict allemand. La BCE n'a pas modifié sa politique et elle a poursuivi ce que l'on appelle le quantitative easing (programme de prêts accommodants pour les pays emprunteurs).
Bien entendu, il y aura autant de gens, en France et ailleurs, pour s'indigner d'une politique conçue pour remédier aux effets désastreux de la crise économique dans laquelle nous baignons déjà. Il y a des souverainistes partout en Europe, mais il faut noter que leur influence a notablement diminué depuis le début de la crise, pour une raison simple : leur très vive hostilité à l'intégration progressive de l'Europe se nourrit d'un rêve de solitude, à l'intérieur de leurs frontières nationales, à l'abri de l'immigration sous toutes ses formes et, probablement, le retour aux grands équilibres par la pratique de l'inflation compétitive. Il n'est pas difficile de désigner les dangers, considérables, de la méthode du cavalier seul. La démondialisation a ses limites, l'appauvrissement des uns entraîne inéluctablement celui des plus solides, l'inflation, au-dessus de 2 %, ruine le pouvoir d'achat de l'épargnant.
L'importance des échanges commerciaux
Les Allemands ont toujours soutenu les politiques d'austérité parce qu'ils ont réformé à temps leur économie et parce qu'ils sont parvenus, dans le cadre européen, à rétablir les grands équilibres en augmentant la prospérité, même si les inégalités se sont creusées. Mais la crise sanitaire ne résulte pas d'un fiasco gouvernemental, c'est plutôt un (violent) accident de parcours auquel, certes, les plus solides ont mieux résisté que les plus vulnérables. Union ou pas, les échanges commerciaux sont de toute façon inscrits dans la proximité des États européens, de sorte que les difficultés de l'un d'entre eux se répercutent inévitablement sur la santé des autres. Il ne nous faut donc pas moins d'Europe, comme le clament les partis extrêmes, mais plus d'Europe.
Car la bonne santé des États les plus fragiles garantit le marché vers lequel vont les exportations allemandes, danoises ou hollandaises. C'est l'intérêt de tous de protéger les plus vulnérables. L'Europe est un concept qui exclut l'égoïsme national. Écoutez l'extrême droite et vous croirez apprendre que nous devons fermer nos frontières et nous débrouiller seuls ; qu'en agissant de la sorte nous faisons le choix noble de notre souveraineté ; que nous avons en nous toute la force et l'ingéniosité requise pour régler des problèmes qui, pourtant, sont de nature internationale, dans un monde où toutes les frontières sont franchies à vol d'oiseau ou par des moyens électroniques. Cette conception des choses n'est pas seulement absurde, elle est surannée. Elle fait référence à un monde qui n'existe plus.