L’histoire du Marais poitevin remonte au XIIe siècle. L’homme domestique à coups de digues et de canaux ce qui n’est qu’un golfe naturel de l’Atlantique, étendu jusqu’aux portes de Niort. Neuf siècles plus tard, ce marais maille toujours le paysage. Sur ses quelques 90 000 ha, seulement 28 000 constituent le « marais mouillé », celui que l’on découvre généralement en barque. Le reste, asséché, est dévolu à l’agriculture. Pour le visiter en bateau, plusieurs portes d’entrée existent. La plus connue est à Coulon, capitale de cette « Venise verte » située près de Niort, dans les Deux-Sèvres. Un site intéressant mais très couru en haute saison. C’est donc aux confins de la Vendée et de la Charente-Maritime, à La Ronde, que nous décidons d’embarquer.
À la hauteur des écluses de Bazoin, la communauté de communes Aunis Atlantique a aménagé un embarcadère intimiste, depuis lequel des visites guidées sont organisées. Glissant sous la voûte sombre de verdure, la maraîchine (barque à fond plat servant jadis à conduire les vaches aux prairies) longe des frênes têtards et des peupleraies, des parcelles humides et des talus inextricables. À gauche, une conche (canal secondaire) conduit à une prairie invisible ; à droite, un héron s’envole ; devant nous, un ragondin traîne sa queue lourde à la surface de l’eau… Et quelques belles vaches parthenaises broutent une herbe riche et verte. Tout au long du marais, ces prés servent de bassin de rétention lorsque la Sèvre Niortaise déborde, évitant à la partie asséchée d’être inondée.
Le canal du Vieux-Bejou, sur lequel notre guide-batelier rame – en d’autres endroits, on utilise encore la pigouille, perche traditionnelle –, est l’un des seuls où l’on peut voir à la fois des vaches, des ragondins et des loutres. Dans un silence à peine troublé par le chant des oiseaux, la balade de deux heures évoque immanquablement cette vie paysanne d’autrefois, lorsque les hommes embarquaient canards et mogettes (les fameux haricots blancs, toujours produits dans le marais) sur leurs canettes, des barques plus petites qui se faufilaient dans la moindre goulette.
120 000 oiseaux
La faune aviaire est la richesse du marais. Pour l’apprécier, il faut se rendre dans la baie de l’Aiguillon. C’est là que la Sèvre Niortaise se jette dans l’océan, signant la fin de l’immense « marécage ». En hiver, 120 000 oiseaux y stationnent, canards, hérons, aigrettes, grues… La population est même en légère augmentation. Le réchauffement climatique offre à certains volatiles des conditions suffisantes pour ne plus avoir besoin d’aller au Sud. Une réserve hélas touchée par les rejets de nitrates issus des pesticides agricoles. Sur place, le Conservatoire régional d’espaces naturels œuvre pour améliorer les choses. Il organise régulièrement des sorties sur des zones protégées, histoire d’initier à l’écologie maraîchère et d’observer spatules, cormorans, tadornes, pigeons ramiers…
Cet espace délicat s’apprécie aussi à vélo, moyen de transport promu par les acteurs locaux du tourisme. C’est l’occasion de rejoindre Marans, point de passage de la Vélo Francette, itinéraire cycliste tracé entre Ouistreham et La Rochelle. Sur les bords de la Sèvre Niortaise, la petite ville dévoile un joli port de plaisance, des quais animés en saison, un marché couvert et une ancienne halle aux poissons. Ils rappellent que Marans fut, en 1934, le troisième port de France pour l’exportation de céréales ! Preuve que ce marais poitevin était bien actif.
Depuis la cité, la Vélo Francette s’échappe à l’est le long du fleuve et des canaux. Maisons basses chaulées à volets bleus, saules pleureurs flirtant avec l’eau des chenaux, petits vergers et passerelles, îlots boisés, pêcheurs de sandres, de tanches et d’anguilles… Il règne sur ces terres flottées la candeur proverbiale des pays d’eau, avec lumière rasante ou fuyante, le temps suspendu ou infini.