À l’occasion de la Semaine nationale de la dénutrition (du 12 au 20 novembre), la Haute Autorité de santé (HAS) a publié des recommandations pour le dépistage chez la personne âgée de plus de 70 ans. En France, on estime à deux millions le nombre d’individus souffrant de dénutrition, dont 400 000 personnes âgées à domicile et 270 000 en Ehpad. Selon l’Inrae, près de la moitié des personnes âgées dépendantes sont à risque de dénutrition.
Les recommandations de la HAS, élaborées avec la Fédération française de nutrition, stipulent que le diagnostic de la dénutrition doit reposer sur la combinaison d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique. Les critères phénotypiques sont : une perte de poids d’au moins 5 % en un mois, de 10 % en six mois ou de 10 % par rapport au poids mesuré avant une pathologie. Les autres critères possibles sont un indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 22 kg/m2 ou une sarcopénie confirmée par une réduction de la force musculaire (test du lever de chaise, force de préhension, masse musculaire des membres inférieurs et supérieurs dite appendiculaire…).
En ce qui concerne les critères étiologiques, on retrouve une réduction de moitié de la prise alimentaire pendant plus d’une semaine, une absorption réduite ou une situation pathologique aiguë ou chronique.
Le diagnostic de dénutrition sévère doit, en plus des critères déjà cités, s’appuyer sur des critères de sévérité : IMC inférieur à 20 kg/m2, une perte de poids de plus de 10 % en un mois, de 15 % en six mois ou de 15 % après une pathologie.
Pour Claire Sulmont-Rossé, directrice de recherche au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (AgroSup, CNRS, Inrae, université de Bourgogne Franche-Comté), ces nouvelles recommandations sont un signal supplémentaire en faveur d’une évaluation régulière des seniors en médecine de ville. « Une perte de poids brutale et involontaire doit toujours alerter, insiste-t-elle. Il peut y avoir plein de raisons comme un médicament à changer. »
Mieux former les aidants professionnels
Dans la revue « Age and Ageing », l’équipe dirigée par Claire Sulmont-Rossé a établi un lien entre le type d’aide alimentaire apportée aux seniors et le risque de malnutrition. Les chercheurs ont mené deux enquêtes : la première chez 559 personnes vivant à domicile avec aide (assistance pour les repas ou autre) ou non ; la seconde chez 319 personnes dont les repas étaient assurés par une aide à domicile ou directement livrés.
Dans la première enquête, il y avait une association forte entre la dépendance culinaire et le risque de dénutrition. Environ la moitié des personnes qui délèguent leur tâche culinaire était concernée, contre seulement 4 % de celles sans aide et 12 % des personnes aidées pour autre chose que la cuisine. « On ne peut pas établir une relation de cause à effet, prévient Claire Sulmont-Rossé. On ne sait pas si la dénutrition est un facteur de risque de dépendance ou si la dépendance aggrave la dénutrition. »
Dans le second travail, la prévalence de la malnutrition dépendait de la personne à qui la tâche était déléguée : 46 % quand les repas sont préparés par une aide à domicile, 60 % quand ils sont livrés et 69 % en Ehpad. En analyse multivariée, les chercheurs ont constaté que les symptômes dépressifs et le statut cognitif sont des marqueurs du risque de malnutrition.
Alors que le risque de dénutrition était important quelle que soit l’aide en question, cela signifie « qu’il y a clairement des marges de manœuvre pour améliorer ces aides, estime Claire Sulmont-Rossé. Il faut former les aidants professionnels à la problématique de la dénutrition pour une offre qui permet d’améliorer le statut nutritionnel. »
Aspects nutritionnel, sensoriel et affectif
Le Centre des sciences du goût et de l’alimentation a mené un autre travail avec une société de portage des repas selon trois axes, nutritionnel, sensoriel et affectif. L’axe nutritionnel consiste à augmenter le contenu calorique d’un repas sans pour autant augmenter la taille des portions pour les personnes à petit appétit. « Cela peut être des choses simples comme mettre une Vache qui rit dans la soupe, remplacer les carottes râpées par des rillettes de thon ou ajouter un œuf dur », détaille la chercheuse.
La dimension sensorielle consiste à travailler sur le goût des repas pour augmenter l’envie de manger via des séances de dégustation. Enfin, l’axe affectif se concentre sur l’échange avec les personnes âgées et sur l’identification de celles qui ne doivent pas être laissées seules face à leur assiette.
Dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS), le ministère de la Santé dresse une liste de points d’alerte simples utilisables par tous les aidants : un réfrigérateur vide ou des restes qui s’accumulent, la prise de moins de trois repas par jour ou une assiette non terminée ou encore des vêtements qui flottent.