Après 10 ans de travaux sur les embryoïdes, « nous avons réussi à générer des structures avec des cerveaux, des cœurs qui battent, des tubes neuraux, des somites [métamères, NDLR] avec un sac vitellin », s'enthousiasme sur « Twitter » Magdalena Zernicka-Goetz qui a dirigé ces travaux. « Ces embryoïdes de souris ont un tube intestinal et des cellules précurseures pour la formation de spermatozoïdes », est-il aussi précisé dans un communiqué des Instituts nationaux de la santé américains (NIH), qui ont financé une partie de l'étude.
Des embryons de 8,5 jours
Pour créer ces embryoïdes, les chercheurs ont cultivé ensemble différents types cellulaires : des cellules souches embryonnaires, à l'origine des différents types cellulaires qui constituent l'organisme, mais aussi deux types de cellules souches extra-embryonnaires qui sont à l'origine du sac vitellin et du placenta. « Ces tissus sont très importants, car ils envoient des signaux à l'embryon pour qu'il développe toutes ses parties au bon moment et au bon endroit », précise la chercheuse.
Ainsi, « cette combinaison de trois types cellulaires a permis le développement de toutes les régions du cerveau, contrairement aux modèles d'embryons qui sont dérivés des cellules souches embryonnaires seules et manquent de tissu extra-embryonnaire », est-il expliqué dans le communiqué des NIH. Les chercheurs sont parvenus à déterminer un milieu de culture optimal permettant à ces trois types cellulaires de communiquer et de s'auto-organiser de façon à reproduire les premiers stades du développement. Les embryons ainsi synthétisés sont capables de mimer des embryons obtenus 8,5 jours après la fécondation. Dans de précédents travaux publiés en 2021, les chercheurs avaient obtenu des embryons de 7 jours, la durée de gestation d'une souris étant d'environ 20 jours.
Mieux comprendre les premières phases du développement
Au cours du développement naturel, les cellules souches embryonnaires et les deux types de cellules souches extra-embryonnaires se développent au cours de la première semaine qui suit la fécondation. « De nombreuses grossesses s'interrompent au cours de cette période, avant que la plupart des femmes ne réalisent qu'elles sont enceintes, explique Magdalena Zernicka-Goetz dans un communiqué de l'université de Cambridge. Cette période est la base de tout ce qui suit pendant la grossesse. »
C'est pour mieux comprendre pourquoi certaines grossesses s'interrompent spontanément alors que d'autres sont menées à terme que la chercheuse et son équipe étudient le stade précoce de la grossesse.
« Le fait d'avoir créé ce nouvel "embryon synthétique" nous a beaucoup appris sur les mécanismes via lesquels l'embryon se construit, souligne-t-elle. Nous avons appris comment les tissus extra-embryonnaires orientent les cellules souches embryonnaires vers la formation de structures correctes ; comment les cellules se déplacent entre les compartiments à mesure que le plan corporel multicouche apparaît ; et comment cela prépare correctement le terrain pour la neurulation. »
Le modèle d'embryon synthétique permet en effet de visualiser les étapes de développement, habituellement cachées au sein de l'utérus de la mère. « Cette accessibilité nous permet aussi de manipuler les gènes pour comprendre leurs rôles dans le développement dans un système expérimental modèle », poursuit Magdalena Zernicka-Goetz.
Les chercheurs sont ainsi allés plus loin dans leurs recherches, en s'intéressant au gène Pax6, indispensable au développement du cerveau et des yeux. Quand ce gène est bloqué dans les embryons synthétiques, ceux-ci présentent les mêmes défauts du développement que ceux observés sur les embryons naturels porteurs d'une mutation sur ce gène. « Cela signifie que nous pouvons commencer à appliquer ce type d'approche aux nombreux gènes dont la fonction est inconnue dans le développement du cerveau », avance Magdalena Zernicka-Goetz.
Des travaux en cours à partir de cellules humaines
Au-delà de ce modèle de souris, les chercheurs travaillent également sur des modèles similaires humains. « Si les méthodes développées par l'équipe de Zernicka-Goetz s'avèrent efficaces avec les cellules souches humaines, elles pourraient également être utilisées pour guider le développement d'organes synthétiques pour les patients en attente de greffe », lit-on dans le communiqué de Cambridge.
Début août, une équipe israélienne a également publié des résultats sur la mise au point d'embryons de souris synthétiques dans « Cell ». Jacob Hanna, biologiste des cellules souches à l'Institut Weizmann des sciences en Israël, est signataire des deux papiers. Dans un article de « Nature », la journaliste Cassandra Willyard explique que pour atteindre le stade embryonnaire de 8,5 jours, « l'équipe de Zernicka-Goet s'est en effet aidée d'une technique développée par Jacob Hanna ». Il s'agit d'un incubateur qui permet de cultiver des embryons naturels de souris pendant une durée sans précédent en dehors de l'utérus.
Sur le « Science Media Centre », Robin Lovell-Badge du Francis Crick Institute commente aussi : « Les protocoles utilisés entre les deux études sont similaires, relativement simples, et il est rassurant que les résultats des deux laboratoires soient comparables, la reproductibilité étant très importante. » Il souligne toutefois que ces embryons synthétiques diffèrent des embryons naturels et qu'il est important de ne pas les percevoir comme tels, même s'ils s'en rapprochent. « Personnellement, je n'aime pas le terme "embryons synthétiques" », précise-t-il également, estimant qu'il « pourrait donner l'impression qu'ils sont entièrement artificiels alors qu'ils proviennent de cellules issues d'un embryon ».
Des réflexions éthiques à mener
La journaliste de « Nature » évoque par ailleurs les considérations éthiques liées à ces résultats : « Plus ces embryons sont avancés, plus les préoccupations éthiques sont importantes. Une question clé est de savoir si ces structures synthétiques doivent être considérées comme des embryons, un point de débat dans le domaine. »
L'université de Cambridge rappelle que la loi britannique n'autorise l'étude des embryons humains en laboratoire que jusqu'au 14e jour de développement, tout comme en France depuis la dernière loi de bioéthique. Le ministère français de la Santé précise que la recherche sur les cellules souches embryonnaires est soumise aux mêmes conditions d’autorisation que la recherche sur l’embryon.