Plusieurs publications ont marqué 2023 dans le champ du vivant en laboratoire, après l'essor des organoïdes dès l'année précédente. Des chercheurs de l'Institut des sciences biomédicales et de la santé de Canton sont parvenus à créer un mésonéphros (stade intermédiaire du rein) humanisé dans des embryons de porcs, selon une étude publiée en septembre dans Cell Stem Cell (1).
Jusqu'à présent, aucun organe solide n'avait jamais été créé chez un animal aussi proche de la physiologie humaine. C'est « la première fois qu'a été démontrée de manière convaincante la capacité des cellules humaines à développer un semblant d'organe dans une espèce animale hôte », a commenté le chercheur de l'Inserm Pierre Savatier.
Les scientifiques chinois ont coupé, avec les ciseaux moléculaires Crispr-Cas-9, deux gènes (SIX1 et SALL1) liés à la croissance des reins dans l'embryon de porc, afin de créer une « niche ». Puis ils ont ajouté dans ces blastocystes de porc à déficience néphrétique des cellules souches humaines pluripotentes induites (iPSCs). Celles-ci avaient été auparavant modifiées afin de survivre à la compétition avec les cellules de l'hôte, grâce avec la surexpression de deux gènes (MYCN et BCL2).
Au total, les chercheurs ont transplanté 1 820 embryons dans 13 femelles porteuses et mis fin à leur grossesse 25 à 28 jours plus tard. Cinq embryons avaient des reins fonctionnels pour ce stade de développement et commençaient à développer un urètre. Ils étaient composés à 50-60 % de cellules humaines. « Cela reste de la recherche fondamentale. Rien ne prouve que le tissu fonctionne. On est loin d'une stratégie clinique », remet en perspective Pierre Savatier. Plus problématique, des cellules humaines ont été retrouvées hors des reins.
Des embryoïdes développés jusqu'à 14 jours
Parallèlement à ces recherches interespèces, les travaux en médecine reproductive vont à folle allure. Dans Nature (2), les chercheurs de l'Institut Weizmann des sciences en Israël ont annoncé avoir développé des structures similaires à l'embryon humain - des « embryoïdes » - à partir de cellules souches embryonnaires humaines non modifiées génétiquement, permettant d'observer jusqu'aux 14 premiers jours de grossesse.
L'équipe de Jacob Hanna insiste sur la proximité de ses embryoïdes avec les embryons humains - un « plus » dans la compétition qui l'oppose à l'équipe britanique de la chercheuse Magdalena Zernicka-Goetz. « Nos modèles embryonnaires humains récapitulent l'organisation de presque toutes les lignées et compartiments connus des embryons humains post-implantation », lit-on.
Par ailleurs, en mimant l'embryogenèse au stade post-implantatoire jusqu'à 14 jours après la fécondation, ces modèles ouvrent une fenêtre sur les mécanismes encore mystérieux de cette période, avec l'espoir de prévenir les échecs, les malformations, et les fausses couches précoces.
La France trace un cadre éthique
La France s'est distinguée, de son côté, par l'élaboration d'un cadre éthique pour le développement des modèles embryonnaires, à travers un avis publié le 11 octobre par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine (ABM).
Y est rappelé le statut particulier de ces embryoïdes : ni embryons, ni simples agrégats de cellules souches. D'ailleurs, plusieurs types d'embryoïdes existent selon leur degré de complétude, des gastruloïdes (qui miment le développement au stade de la gastrulation, en restant incomplets) aux blastoïdes (modèles plus intégrés obtenus en agrégeant des cellules souches précurseurs de l'embryon et de ses annexes).
Par conséquent, ces modèles « méritent un encadrement spécifique qui doit être plus souple que celui concernant la recherche sur l'embryon (soumise à un régime d'autorisation) mais plus strict que celui des lignées de cellules classiques » (simple déclaration à l'ABM), lit-on.
Le Conseil d'orientation propose d'autoriser les recherches sur des embryoïdes intégrés jusqu'à un stade de développement équivalent au 28e jour du développement de l'embryon naturel. Et de préciser que les auteurs des protocoles prolongeant la culture des embryoïdes de 14 à 28 jours devraient fournir une justification argumentée.
L'ABM invite aussi à revisiter la question du consentement, afin d'actualiser les formulaires remplis par les couples ou les femmes qui donnent leurs embryons à la recherche, ou par les personnes qui donnent leurs cellules somatiques avec l'objectif de générer des cellules iPS. Le conseil rappelle enfin l'interdiction de l'implantation de ces modèles embryonnaires humains dans des utérus (humains ou animaux). Ces embryoïdes ne doivent être utilisés que dans le cadre de recherches scientifiques et ne pas être exploités commercialement.
(1) J. Wang et al., Cell Stem Cell, sept 2023. DOI.org/10.1016/j.stem.2023.08.003
(2) B. Oldak et al., Nature, sept 2023. DOI.org/10.1038/s41586-023-06604-5