Depuis le barrage de la Rance, le petit bateau de croisière de la compagnie Chateaubriand remonte tranquillement le fleuve en évitant les bancs de sable. Très vite apparaissent les « demeures de plaisance » qui font l’un des charmes de l’estuaire : les malouinières. Bâties sur les rives par des armateurs de Saint-Malo, elles témoignent de l’aisance de ces marchands enrichis aux XVIIe et XVIIIe siècles par le commerce maritime. On en compte plus de 100 autour de la cité corsaire. Certaines se visitent, comme Montmarin. D’autres laissent seulement deviner leur faste, telle La Basse-Flourie.
Quelmer, îlot Chevret, La Passagère… Des collines dévalent des parcelles bien ordonnées de choux-fleurs tandis que le bateau passe au large de la maison du commandant Charcot. Dans cette belle bâtisse en pierre, le navigateur se reposait après ses voyages au long cours. Savait-il qu’il vivait près de « l’égorgerie », une maison de passeur hantée par l’assassinat mystérieux, en 1790, du passeur, de sa femme et de leurs six enfants ?
En face, le microport de Montmarin (en forme de goutte, vraie curiosité) précède le beau château de la Jouvente et la cale de La Landriais. C’est l’un des endroits les plus intéressants de l’estuaire. Réputée pour ses chantiers navals, la Rance abrite ici un cimetière de bateaux et des ateliers de marine. De là sont sortis des doris, des chaloupes… Mais aussi de grands navires, construits dans l’immense cale sèche en bois du début du XXe, dressée au milieu de la grève et classée monument historique.
Coup d’œil à nouveau à la rive droite. La grève du Quinard révèle un autre patrimoine typique de la Rance : les moulins à marée. À l’abandon, celui-ci raconte l’histoire d’une population qui avait compris, bien avant la construction de l’usine marémotrice, le parti à tirer de la force des courants de marée. Preuve de la puissance du fleuve : l’Île Notre-Dame. Au XVIIIe, des moines allumaient chaque soir des feux pour guider les bateaux et signaler les récifs. L’île est désormais un site naturel protégé. Hérons, aigrettes, sternes, cormorans et parfois fous de Bassan vagabondent à l’abri sur les berges de l’îlot et de l’estuaire, qui échappent toujours au tourisme de masse.
Classé parmi les Plus Beaux Villages de France, Saint-Suliac mérite un long arrêt. On découvre dans ce port des maisons de granit sombre décorées de filets de pêche, un enclos paroissial et le panorama ouvert jusqu’au Mont-Saint-Michel depuis le mont Garrot…
Le bateau toussote encore en longeant l’anse de Vigneux (où on a replanté de la vigne) et franchit l’étroiture entre les ports Saint-Jean et Saint-Hubert, sous le pont Chateaubriand. Fin de la balade nautique (le bateau fait ici demi-tour) et début, un peu plus tard, de l’itinérance routière vers l’amont.
Nous poursuivons par les petites routes en collant au rivage. Un salut au célébrissime phoque Joséphine de Mordreuc (fidèle au joli port depuis 20 ans !) et à la capitale du cidre Pleudihen, et voici l’entrée dans un défilé étroit, sauvage et vert. En dessous de terres cultivées, les mâts de voiliers glissent sans bruit dans la verdure, flirtant avec des maisons isolées. On ne sait pas si le moulin à marée du Prat est encore marin ou déjà terrien, mais il ne fait pas de doute que la campagne a pris le dessus sur la mer. Voilà l’écluse du Chatelier, le port de plaisance de Lyvet et ses carrelets de pêche. C’est ainsi que l’on arrive au port de Dinan, une des plus jolies villes médiévales de Bretagne. On la découvre en grimpant la très pentue rue du Jerzual, accès vers la vieille ville fortifiée et ses splendides maisons à colombages.
Reste à découvrir une malouinière. Le château du Montmarin (XVIIIe) est à peu près le seul à border la Rance rive gauche. Toujours est-il qu’il offre un site magnifique, les pieds dans l’eau. Le public visite ainsi le parc de 6 ha, aménagé en terrasses au-dessus de la Rance. C’est ultracoloré au printemps et aussi en automne, quand les parterres de cyclamens de Naples irradient de leur violet éclatant.