C’est le paradoxe de la commune des Trois-Îlets. Celle qui abrite le plus grand nombre d’hôtels de l’île, au sud de la baie de Fort-de-France, est aussi l’hôte de trois sites patrimoniaux majeurs. Trois lieux qui disent tout, ou presque, de l’histoire esclavagiste de la Martinique, dont l’île est l’héritière douloureuse. Un passé impossible à occulter si l’on veut comprendre son identité. La Savane des Esclaves en est une parfaite illustration. Dans un vallon boisé, l’autodidacte Gilbert Larose a conçu un écomusée passionnant rappelant l’histoire du peuplement martiniquais et la vie sous tutelle coloniale. Des indiens Caraïbes exterminés (les kalinagos) aux villages créoles, en passant par les cases d’esclaves, la balade dans ce parc mémoriel raconte la dureté effrayante de la vie aux Antilles à partir du XVIIe siècle.
Non loin de là, le Domaine de la Pagerie est l’exemple type d’une ancienne habitation-sucrerie. Modèle emblématique de l’exploitation esclavagiste en Martinique,surnommée « la Petite Guinée », cette « ferme » de canne à sucre exploita au milieu du XVIIIe jusqu’à 350 esclaves.La visite dévoile l’organisation sociale sinistre de l’habitation, où le maître, français, régnait sans partage sur les esclaves, domestiques, nourrices, artisans… La Pagerie est aussi célèbre pour avoir vu naître Joséphine, future impératrice, femme de Bonaparte.
En 2021, la canne à sucre est toujours l’une des productions principales de l’île.. Aux Trois-Îlets, la Maison de la Canne, aménagée dans une ancienne distillerie, balaye les grandes étapes de cette aventure agricole. Elle revient aussi sur le système d’exploitation négrier, tant celui-ci, aboli définitivement en 1848, a marqué la population d’un sceau indélébile.
De la canne au rhum il n’y a qu’un pas. La Martinique est l’île des meilleurs rhums du monde. La raison ? 95 % de la production de la planète provient de la distillation des résidus de canne. Les 5 % restant sont élaborés avec du pur jus de canne et l’île en est la championne incontestée. Plus de 90 % des stocks de rhums vieux agricoles se trouvent en Martinique. Labellisé d’une AOC depuis 1996, ce rhum est produit par huit distilleries, ouvertes au public. Les parcours de découverte en période de récolte de la canne (de février à juin) s’accompagnent en général d’un musée ou d’une boutique. Au sud, on s’immergera dans l’univers des distilleries Trois-Rivières, La Mauny ou l’Habitation Clément. On filera aussi au nord, histoire de découvrir cette partie montagneuse et verdoyante, déployée autour de la célèbre Montagne Pelée. À Macouba, la distillerie J.M. promet une visite exquise « du jardin à la bouteille ». Neisson, au Carbet, contentera les amateurs d’excellence, ce rhum étant parfois considéré par les puristes comme le best des best. Impossible aussi de passer à côté de Saint-James, à Sainte-Marie, et de son musée et bar vintage.
Puisque l’on est au nord, on ira faire également un tour à Saint-Pierre. Une autre mémoire douloureuse y pèse, celle de l’explosion du volcan de la Montagne Pelée, en 1902. Une tragédie (28 000 morts !) relatée avec émotion au musée Franck Perret. Le nord de la Martinique est un gardien du temple de l’histoire martiniquaise. Les routes de l’intérieur sillonnent des terres à bananiers, autre production phare. La Route de la Trace, de Fort-de-France au Morne-Rouge, plonge dans l’univers luxuriant de l’île, là où poussent goyaviers et caféiers, dont on tente de relancer la variété Premium, arabica typica.
La côte atlantique rappelle une fois encore l’héritage africain. Fief du bèlè, Sainte-Marie vibre pour cet art musical issu du labeur des champs coloniaux. Mêlant chant, danse, tambour et ti-bwa, ce style est à découvrir à la Maison du Bèlè, quartier Reculée. Restera à profiter des plages. Sur le sable fin des Anses d’Arlet ou des Trois-Îlets, au sud, sur celles de l’Atlantique ou sur le sable noir volcanique, au nord, le farniente et les activités nautiques rappelleront que la Martinique est autant une destination de détente que de découverte.