Le Quotidien du pharmacien. - Quel bilan tirez-vous des protocoles instaurés au début de l'été pour désengorger les urgences ?
Agnès Firmin-Le Bodo. - Ces mesures vont être évaluées en temps réel, notamment au sein du deuxième comité de suivi. Nous avons bien conscience, le ministre de la Santé et de la Prévention et moi-même, que certaines mesures mises en place en plein milieu du mois de juillet n'étaient pas facilement applicables, ne serait-ce que parce que certains professionnels de santé étaient en congé. Il faut par conséquent distinguer entre des mesures qui ont bien fonctionné et qui mériteraient d'être pérennisées, et d'autres qui n’ont pas pu être appliquées, non pas parce qu'elles ne sont pas opérantes, mais parce qu'elles n'ont pas pu être mises en œuvre.
La délégation d’acte entre médecin et pharmacien est une bonne mesure, mais je suis favorable à sa simplification. C'est dans le sens de mon engagement et de la feuille de route qui sera la nôtre. Cependant, il ne faut pas simplifier de manière arbitraire. Et surtout pas depuis le ministère. Cela doit résulter d'un travail de concertation entre médecins et pharmaciens. C’est l'essence même de ma méthode.
Dans les territoires, davantage d'autonomie est donnée aux ARS et aux URPS, que ce soit pour la vaccination contre le Monkeypox en pharmacie ou contre le méningocoque en Auvergne-Rhône-Alpes. Est-ce désormais une organisation que vous voulez systématiser en cas de crise sanitaire ?
Les ARS ont été au front tout au long de la crise, avec les outils et les limites qui sont les leurs. Elles sont le bras armé qui permet de travailler avec les professionnels de santé sur le terrain. Tous les territoires, cependant, ne sont pas organisés de la même manière. Notre rôle ici est de donner aux ARS les moyens de travailler avec les professionnels de santé et de les accompagner dans leur organisation. Les CPTS sont un moyen, mais dans d'autres territoires des systèmes de soins et de parcours coordonnés différents ont été mis en place. Les missions et les consignes données aux ARS sont de s'adapter aux territoires en fonction de ces moyens.
Outre les CPTS, vous pensez aux équipes de soins coordonnées autour du patient (ESCAP) ?
Pour les ESCAP, on verra. Mais il existe même des parcours qui ne portent pas de nom. Quant aux CPTS, elles sont très hétérogènes. La plus petite couvre environ 8 000 habitants alors que la plus importante en concerne 300 000. On voit par là qu'on ne peut pas apporter une solution unique. Simplification et souplesse sont donc les deux principes qui doivent nous permettre d’apporter une réponse.
Autre première, la prévention, qui figure au libellé du ministère. Quel peut peut être le rôle des pharmaciens dans ce champ de la santé publique ?
Je suis convaincue que les pharmaciens ont un rôle à jouer dans la prévention. Il n'a d'ailleurs cessé de croître au cours des dernières années. Pendant la crise sanitaire, le pharmacien a prouvé à quel point il est un acteur de santé essentiel, un maillon fort dans le parcours de santé des citoyens. Agnès Buzyn (ancienne ministre de la Santé N.D.L.R.) avait commencé en confiant des missions à la profession, la crise sanitaire a accentué dès le début du mois de mars l'implication forte des pharmaciens puisqu'ils restaient les rares professionnels, et même les rares « commerces » à être ouverts. Rappelons-nous que des citoyens ont même utilisé leur attestation pour venir chercher une boîte de médicament à la pharmacie, un prétexte pour sortir de chez eux. Ainsi, l'officinal a pu jouer un rôle de veille sur la santé d'une population enfermée et maintenir un lien social.
En ce qui concerne la prévention, toutefois, les pharmaciens ont leurs limites. Notamment dans leur schéma d'organisation, les officines étant de tailles hétérogènes et toutes ne disposant pas de personnels en nombre suffisant. Il faut par conséquent veiller à ne pas créer de déséquilibre et à préserver ce qui a fait la force de la profession, c'est-à-dire le maillage territorial. Celui-ci a prouvé pendant la crise sanitaire à quel point il était un élément essentiel. Attention à l'empilement de tâches qui ne seraient pas réalisables par toutes les pharmacies. On l'a vu pendant la crise, certaines n'ont pas pu vacciner parce qu'elles n'avaient pas de locaux adaptés. Ou encore parce qu'elles ne disposaient pas de personnels présents. Donc oui à la prévention. D'ailleurs, la remise du kit de dépistage du cancer colorectal est un moyen de prévention intelligent en officine puisque le pharmacien dispose du parcours patient, de son âge, etc. On pourrait également envisager d'avancer sur le rappel de la mammographie, par exemple.
Toujours dans le registre de la prévention, estimez-vous nécessaire d’intensifier la campagne vaccinale contre le Monkeypox ?
Je ne pense pas que la vaccination contre le Monkeypox en officine réponde à une demande des pharmaciens de manière généralisée. On voit bien qu'il s'agit d'une vaccination particulière, avec une population concernée plus présente sur des territoires donnés. Certains pharmaciens, en mesure d'accueillir des patients – sans perdre de dose — expérimentent la vaccination en officine en complémentarité des hôpitaux et des CeGIDD (1). Toutefois, il nous faut veiller à garantir une bonne gestion de la matière première, et ne pas perdre de doses. Mieux vaut rediriger le patient vers un confrère ou un CeGIDD qui, en plus, apporte un suivi anonyme adapté et prend le temps de faire de la prévention auprès de lui. L'intelligence collective requiert aussi qu'on travaille de manière coordonnée.
Les pharmaciens devront-ils administrer la quatrième dose contre le Covid alors que de nouveaux vaccins vont être disponibles ? Qu'en sera-t-il après le 31 janvier 2023, date de la fin de l'état d'urgence, de la prise en charge des tests et des vaccins Covid et de la vaccination par les préparateurs ?
La loi votée par les parlementaires cet été a mis fin aux régimes d’exception créés pour lutter contre l’épidémie de Covid. Mais nul ne peut prédire aujourd'hui la manière dont l'épidémie va évoluer. Elle peut s'estomper comme repartir très vite. Un nouveau variant va-t-il surgir ? Je ne peux pas vous répondre aujourd'hui. Il est trop tôt pour le dire. Ce ministère a su, tout au long de la crise, réagir et s'adapter, en témoignent la publication de très nombreux DGS Urgent !
Sur la vaccination, il ne fait aucun doute que les pharmaciens sont au cœur du réacteur. Ils sont invités d'ores et déjà à se faire administrer la quatrième dose, qu'ils aient ou non plus de 60 ans. Il en est de même en population générale pour les personnes de plus de 60 ans et les personnes fragiles, pour lesquelles un nouveau rappel vaccinal a été ouvert cet été. Cette période de rentrée est marquée par l’arrivée sur le marché de certains vaccins adaptés, récemment autorisés par l’Agence européenne du médicament. La Haute Autorité de santé (HAS) sera amenée à se prononcer bientôt sur la stratégie vaccinale française des prochaines semaines, et notamment sur les modalités d’organisation d’une éventuelle campagne vaccinale automnale.
Quant aux préparateurs, là aussi il faut tirer les conclusions de la crise, ils ont été des bras supplémentaires pour tester et vacciner, il serait difficile intellectuellement d'expliquer qu'ils ne peuvent plus le faire après la fin de l'état d'urgence. Il est important de les autoriser à continuer.
Qu'attendez-vous de la profession dans les mois à venir ?
J'attends des pharmaciens qu'ils travaillent avec tous les professionnels de santé. Je souhaite que le CLIO (2), lancé il y a deux semaines à l'Ordre des pharmaciens, un heureux hasard, poursuive son travail. Que l'Ordre des médecins y participe est pour moi un signal très positif. Il faut continuer à travailler ensemble à tous les systèmes de coordination. Les pharmaciens doivent rester force de proposition.
Hormis les URPS, identifiez-vous un autre maillon dans les territoires ?
Les URPS ont pris une place intéressante parce qu'elles regroupent toutes les professions. Il y a, certes, des territoires où les URPS sont plus ou moins développées. Chaque organisation, qu'elle soit syndicale ou ordinale, joue son rôle. Ce qui m'importe est de voir que les pharmaciens sont impliqués dans chaque territoire.
La convention pharmaceutique va commencer à entrer en vigueur le 7 novembre. Y a-t-il moyen d'accélérer la publication des textes, y compris ceux sur la PDA attendus depuis plus de cinq ans ?
Nous avons encore près de deux mois devant nous (rires) ! Dans la méthode qui est la mienne, il y a une vigilance particulière que je tire de mon expérience de parlementaire. Je votais la loi. Et aujourd'hui, je reste attachée à suivre son application. C'est une méthode de travail que j'ai instaurée qui consiste à recenser les décrets d'application qui ne sont pas sortis. Je citerai un exemple qui parle aux pharmaciens, celui du décret sur les substituts nicotiniques.
C'est un exercice intéressant : il s'agit de comprendre pourquoi ces décrets ne sont pas sortis, même si on voit bien que la crise sanitaire a mis à rude épreuve les équipes de ce ministère pendant deux ans. C'est aussi de notre responsabilité, ici, de faire en sorte que la loi, une fois votée, soit appliquée.
La convention pharmaceutique inscrit de nouvelles missions dans l'exercice officinal. Jusqu'où doit-on aller ?
Ce sont des débats que j'ai eus avant d'être ministre et que j'aurai sans doute avec l'Ordre et les syndicats. Il s'agit de l'évolution de la profession de pharmacien. On sait qu'il n'a pas forcément toujours été positionné en tant que professionnel de santé et pour ce faire il a fallu montrer quelle était sa fonction. Maintenant, il faut savoir jusqu'où on va. Et le souhait qui était le mien avant d'être ministre, dans mon parcours professionnel, était qu'il faut une vigilance collective. Ce que les officines ont vécu en janvier et février, cette année, devrait faire réfléchir sur le cœur de métier. Car je ne suis pas sûre que toutes les officines étaient alors en mesure de délivrer les ordonnances, dans les meilleures conditions. Certes, les pharmaciens ont joué pleinement leur rôle en période de crise mais il s'agissait d'une circonstance particulière.
Par ailleurs, l'enjeu de la profession est de conserver le maillage territorial, important pour la permanence des soins. Il faut que le pharmacien puisse rester pour préserver la présence d'un professionnel de santé dans les communes où il n'y a plus de médecin, là où il n'y a plus d'infirmière.
Dopée par les ressources accumulées à travers les missions Covid, mais sérieusement entamée par l'inflation, l'économie de l'officine verra-t-elle son équilibre assuré dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 ?
L’économie de l'officine est fragile depuis des années et l’est toujours aujourd’hui. En aucun cas, je défendrai l'idée que le travail effectué pendant la crise sanitaire doit être considéré comme quelque chose de pérenne. Il s'agit d'une situation particulière. Les résultats de l'officine ne sont pas ceux des deux dernières années. L'économie de l'officine, c'est celle de 2019, ou celle de 2020 et 2021 à laquelle on retranchera les tâches effectuées dans le cadre de la gestion de l'épidémie. Les pharmaciens ont apporté leur pierre à l'édifice, ce qui a permis à certaines officines en difficulté en 2019 de bénéficier d'un petit bol d'air. Mais cela ne représente qu'un bol d'air.
Tout ne dépend cependant pas du PLFSS, il n'est que l'une des clés de la situation économique de l'officine. Car l'équilibre territorial représente lui aussi un enjeu, tout comme l'activité médicale autour de l'officine, cet écosystème de coordination des professionnels de santé qui répondent aux besoins des citoyens.
C'est l'un des défis de notre ministère. Les pharmaciens tout comme les autres professionnels de santé doivent être en capacité de travailler ensemble et de travailler avec les élus, les collectivités, les territoires. Ce sujet sera à l'ordre du jour de la conférence des parties prenantes qui s'ouvrira prochainement. Le pharmacien est un acteur incontournable de la démocratie sanitaire car il est en lien direct avec les personnes soignées.
(1) Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles.
(2) Comité de liaison des institutions ordinales.
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