Le Quotidien du pharmacien. - L’acquisition d'une pharmacie ou de parts sociales d’une société de pharmacie est un investissement lourd nécessitant le recours à des emprunts conséquents. Selon vos observations, quelles sont les garanties demandées par les banques ? Y a-t-il des évolutions ?
Philippe Becker. - Les deux garanties traditionnellement demandées sont le nantissement sur fonds de commerce et le nantissement sur les parts sociales ou actions. Il s’agit d’hypothèses, il faut le souligner, où le banquier a une bonne approche du dossier, c'est-à-dire qu’il croit dans le projet. Ne nous voilons pas la face, dans ce cas de figure, l’acquéreur en est à sa deuxième ou troisième acquisition réussie, il a des capitaux propres suffisants sur une pharmacie de bonne taille qui a du potentiel.
Mais au cas où tout n’est pas si rose, que va exiger le banquier ?
Christian Nouvel. - Pour les dossiers plus « serrés », les établissements financeurs demandent la caution personnelle de l’acquéreur et parfois même celle de membres de sa famille. C’est là où il faut être bien averti des conséquences car le mécanisme de la caution personnelle est rude lorsqu’il y a une difficulté de paiement de l’emprunt sollicité.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Christian Nouvel. - Si la caution est simple, cela signifie que le créancier – dans le cas particulier la banque – doit d’abord poursuivre le débiteur sur ses biens avant de se retourner contre la caution. Dans cette hypothèse, la personne qui a cautionné l’emprunt pour faciliter l’accord de la banque ne sera obligée de payer que si le débiteur principal (le titulaire ou la société de pharmacie) est insolvable, ou si les poursuites contre ce dernier ont échoué. Il faut bien avouer que les banques ne se satisfont pas d’une proposition de caution simple ! En pratique, elles exigent que la caution soit solidaire !
Qu'est-ce que cela implique ?
Philippe Becker. - Si la caution est solidaire, la banque peut alors réclamer le paiement des échéances de l’emprunt impayées directement à la caution, sans être obligée de poursuivre le pharmacien titulaire ou la société de pharmacie. On parle dans ce cas particulier d’un renoncement au bénéfice de discussion. C’est redoutable car le mécanisme est facile et rapide à mettre en œuvre et bien évidemment la banque se sera assuré préalablement de la capacité financière de la caution. N’est pas caution qui veut ! Sur le plan formel, l’acte de cautionnement est obligatoirement écrit, déterminé dans sa durée et limité dans son montant. Il est aussi souvent prévu en cas de pluralité de cautions (le titulaire lui-même, ses parents et grands-parents) que celles-ci renoncent au bénéfice de division.
Quelles en sont les conséquences pour les cautions ?
Philippe Becker. - Cela veut dire que le banquier pourra réclamer la totalité de la dette à l’une des personnes caution et non pas au prorata. Il va de soi que le banquier choisira la caution la plus solvable. Charge à elle de se retourner ensuite vers les autres cautions pour leur quote-part… Et un jour peut-être contre le débiteur principal, c'est-à-dire le titulaire. On imagine l’ambiance lors des réunions de famille.
Les personnes qui acceptent de cautionner ont-elles conscience, selon vos observations, de l’engagement qu’elles prennent ?
Christian Nouvel. - Malheureusement pas toujours. Souvent le cautionnement leur apparaît comme un engagement moral ; au fond ils ont déjà fait cela pour le premier bail d’habitation de leur progéniture étudiante et cela s’est bien passé, donc ils ne voient pas le risque !
C’est là où l’expert-comptable, le notaire et l’avocat qui conseillent l’acquéreur doivent faire preuve de beaucoup de pédagogie. Les parents ou grands-parents, qui sont les premiers exposés dans une opération d’achat d’une pharmacie par un primo-accédant, souhaitent ardemment aider leurs enfants et petits-enfants. Dans l’euphorie d'un accord bancaire exigeant, ils ne voient pas le danger en cas de problèmes financiers. Ce ne sont pas des situations théoriques car chaque année nous observons entre 60 et 70 liquidations judiciaires dans le monde de la pharmacie d’officine.
Que conseillez-vous, dans ce cas, aux cautions potentielles ?
Philippe Becker. - Déjà tout faire pour limiter le montant du capital qu’ils vont cautionner. Il faut leur rappeler, si besoin est, qu’ils seront redevables, en cas de problème, de tout ou partie de la dette principale, mais aussi des intérêts et des frais qui auront couru. Même si aujourd’hui les établissements prêteurs doivent, avant le 31 mars de chaque année, communiquer à la caution le montant de la somme qu’elle a garantie au 31 décembre de l’année précédente, il est également judicieux que les personnes cautions s’intéressent à la situation financière de la pharmacie et puissent être averties. Ceci afin de pouvoir intervenir avant d’être mis devant le fait accompli.
Ajoutons que le conjoint du titulaire est bien souvent mis dans la boucle. Cela peut paraître surprenant, voire superfétatoire, si les époux sont mariés selon le régime de la communauté. Cette manière de faire qui paraît anodine permet juste au prêteur d’augmenter son gage sur les biens propres ou à venir du conjoint. Qu’on se le dise !
Quelles sont les solutions alternatives à la caution ?
Christian Nouvel. - Dans la mesure où la règle posée par les tribunaux exige que l’engagement de caution soit proportionnel aux ressources de la caution (biens et revenus) et cela à la date de signature de l’acte, on peut légitimement se demander si la caution n’aurait pas un réel intérêt à faire un don ou un prêt pour consolider le montage financier d’acquisition.
Comme alternative, on peut aussi citer les organismes de cautionnement institutionnel, comme Interfimo, qui font profession d’aider les pharmaciens à s’installer en leur fournissant un cautionnement – il va sans dire que rien n’est gratuit ! Sont aussi apparus les dernières années les « boosters » d’apports liés à des groupements ou des grossistes répartiteurs. Les institutionnels, tels Pharmequity et la CAVP, peuvent aussi apporter leur soutien.
Quels seraient les derniers conseils que vous délivreriez à de futurs acquéreurs ?
Philippe Becker. - Bien lire ce que l’on signe ou ce que l’on fait signer à ses proches et demander l’avis d’un professionnel du droit en cas de doute !
Christian Nouvel. - Acquérir une officine c’est gérer un risque et non pas prendre un risque, surtout lorsqu’on emmène ses proches dans l’aventure !
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