Le Quotidien du pharmacien. - De plus en plus de réseaux de distribution misent aujourd'hui sur l'enseigne. En quoi est-elle un passage obligé dans la stratégie du point de vente et, au-delà, dans le déploiement du réseau ?
Joël Plat. - Il est vrai qu'enseignes et marques se confondent souvent pour ne plus faire qu'un. Que l'on songe à Apple, Nespresso, Ikea ou encore Décathlon. Ce sont à la fois des marques et des enseignes éponymes qui vendent les produits à la marque. Une marque qui porte les valeurs de l'enseigne. En pharmacie, la situation est différente puisque la notion de marque est moins implantée dans le marché du médicament. Quoique certains médicaments soient connus par leur marque... Pour les pharmaciens, cette différence avec les autres réseaux de distribution est à la fois une difficulté et une opportunité. Car s'ils ne font qu'héberger des marques, ils ne vont entrer en concurrence avec des tiers qu'au travers des relations effectives qu'ils sont capables de créer. Ainsi, de la même façon qu'une enseigne fait la différence à l'intérieur du point de vente, un pharmacien va, par son accueil, son expertise, offrir une « réassurance » au client. Ce qui fera qu'on achètera dans son officine, pour le poids des marques, mais aussi pour son accueil, la qualité de son expertise... Cette reconnaissance se traduit en fidélisation. Or beaucoup de clients sont fidèles à leur pharmacien sans être pour cela reconnus. Mais c'est là une autre question...
Dans un univers parfois très concurrentiel, essentiellement en milieu urbain, l'enseigne peut donc faire la différence ?
Il ne faut pas oublier que pour un pharmacien la partie la plus visible de son activité ne représente que 25 % de son chiffre d'affaires. Mais pour le client il s'agit de 80 % de l'offre ! Nombre de pharmacies, particulièrement les plus grandes, ont compris cet enjeu et ont construit leur merchandising et leur parcours client à l'image des grandes enseignes comme Ikea. Pour le client,la marque et l'enseigne font la préférence et le pharmacien doit jouer avec cette clé pour se démarquer de la concurrence : dans le confort du patient, dans la fluidité de la relation, la carte mutuelle est-elle enregistrée ? L'ordonnance peut-elle être dématérialisée ? Le client fidèle est-il reconnu et dépanné ?
Le digital peut trouver toute sa raison d'être pour rendre service au client. Il faut s'inspirer d'autres modèles de distribution et ne pas hésiter à recourir à une approche « omnicanal ». C’est-à-dire laisser le choix au client du moment et de l'heure de son achat ou de la prestation qu'il souhaite, y compris pour la vaccination ! L'omnicanal induit une capacité à simplifier la relation client. Cela n'est possible qu'au sein d'une enseigne car le pharmacien doit pouvoir bénéficier des ressources, être soutenu, dans l'organisation, dans les outils...
Ainsi, le pharmacien pourra transformer les contraintes en opportunité. Il faut savoir créer du désir autour du « produit », du service. Et l'enseigne de pharmacie ne fait pas autrement en développant des valeurs, authentiques, sincères, dans lesquelles le patient va se reconnaître. Pour le groupement de pharmacie qui crée des enseignes l'enjeu sera d'avoir les capacités à faire émerger des valeurs qui correspondent à sa culture et à son histoire.
Le défi premier n'est-il pas aussi d'assurer une adéquation entre ce qui est annoncé par l'enseigne – et par conséquent par le pharmacien – et ce qui est vécu par le patient ?
Tout à fait. Et cela sera de plus en plus vrai à l'avenir. Le consommateur devient de plus en plus un « radar à bullshit ». Tous sens en éveil, il fait preuve de discernement et il connaît le droit du consommateur. Il est d'ailleurs sursollicité pour donner son avis. Aussi dans ce contexte, les éléments différenciants et le positionnement de l'enseigne ne lui échapperont pas. D'où la nécessité absolue pour une enseigne de jouer la carte de la sincérité et de la cohérence. Le bio en est un bon exemple.
L'enseigne n'est-elle pas aussi un élément fédérateur pour les affiliés ?
Effectivement, les adhérents se reconnaissent dans l'enseigne et se reconnaissent entre eux, ils se cooptent, se respectent, se renvoient les clients. Il y a un sentiment d'appartenance indéniable. La tentation de créer une enseigne est avant tout commerciale. J'ai consolidé mes achats, je vais vendre une prestation d'enseigne et multiplier mes ventes. Mais cela ne suffit pas. Il faut avoir envie de créer quelque chose ensemble, avoir un projet commun, une vision commune du métier. Il faut aussi savoir le partager aux clients et aux futurs adhérents. C'est la synergie qui fait la différence, elle doit se matérialiser dans la durée et dans la taille du réseau. Elle est « scalable », c’est-à-dire qu’on peut mettre et passer à l’échelle, déployer…
Pour autant, ces préceptes qui valent pour les réseaux de distribution classique, sont-ils transposables dans une profession réglementée, aussi contrainte en matière de communication que l'est la pharmacie d'officine ?
Je l'ai dit, il faut savoir transformer des contraintes en opportunités. Comme Nespresso qui a su dépasser l'image peu écolo de ses dosettes en offrant la machine à café et en gardant toute la maîtrise de la distribution. Ou encore comme Apple qui a su compenser son arrivée tardive dans le monde informatique et de la téléphonie mobile en créant son marketing non pas sur le fonctionnel mais sur l'esthétique, en suscitant l'envie du produit. Toutes les grandes marques se sont construites autour de contraintes. Les pharmaciens l'ont compris qui, dans la crise du Covid, ont su se saisir des opportunités, ont installé des barnums pour remplir leur mission de santé publique...
Il est un point important à ne pas oublier, les enseignes de pharmacie, comme les autres, doivent toujours anticiper des besoins qui n'existent pas et leur apporter des réponses. Ainsi, personne n'avait jamais demandé de café en capsules, ni demander à disposer de 2000 morceaux de musique en miniature, nous avions des moulins à café et le walkman et tout le monde était content.
Pour l'enseigne de pharmacie, cette disruption pourrait-elle être dans les services ?
Par exemple. Les pharmaciens doivent pouvoir réfléchir à ce qu'ils peuvent apporter d'innovant et de différenciant dans le cadre légal. La valeur d'une enseigne de pharmacie sera d'observer ces innovations et de les dupliquer, mais il ne faut pas perdre de vue que le pharmacien peut être créatif à titre individuel. D'ailleurs, les idées ne doivent en aucun cas être « top down » (descendantes) mais au contraire, elles doivent être impulsées de la base, au contact du client.
Des groupements de pharmaciens, adhérents du commerce associé, se revendiquent du modèle de l'enseigne. Cela vous paraît-il compatible ?
La question n'est pas là. Mais plutôt sur la nature de l'enseigne. Plus elle sera forte et plus elle détient une main mise sur le commerce et plus elle sera profitable et efficace. À l’inverse, plus une enseigne est « light », plus le sentiment d'appartenance de l'affilié sera faible et son adhésion semblera opportuniste. On en revient toujours à la relation entre les supports fonctionnels de l'enseigne et le leadership du commerçant. Une enseigne peut être forte et laisser le leadership de son affilié s'exprimer. Dans un modèle coopératif, on finit par avoir du poids. Mon expérience m'a démontré que la logique de porte-voix est importante dans les coopératives. Les adhérents rentables, visibles, sont ceux qui génèrent des initiatives. Ils sont souvent exemplaires, au niveau national, au niveau de l'enseigne.
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