Et si l’activité des chambres de discipline ne faisait que refléter la judiciarisation galopante observée dans la population française ? Due majoritairement à un « effet retard » de la crise sanitaire, la hausse des décisions rendues en 2021 par les chambres de discipline des conseils de l’Ordre – 322 contre 169 en 2020- n’est certes pas significative d’une augmentation des litiges. En revanche, deux autres indicateurs signalent un durcissement des rapports entre les pharmaciens et l’administration ou les usagers, mais aussi au sein même de la profession.
Toutefois, après une flambée en 2020 (+ 64,6 %), les recours disciplinaires engagés par les pharmaciens contre leurs pairs ne constituent plus que 27 % des cas. En retour, les particuliers, notamment les patients, sont aujourd’hui dans près de la moitié des cas à l’origine de la plainte. Ils n’étaient qu’un tiers en 2020. Autre tendance, les plaignants sont plus résolus qu’auparavant à poursuivre la procédure après le rendu de la décision en première instance. Le taux d’appel augmente de 27,6 % en 2020 à 29,8 % et porte à 106 le nombre de ces affaires, instruites automatiquement devant la chambre de discipline du Conseil national.
Un vaccin adulte délivré à un enfant
Aucune surprise, dans ce contexte, la pharmacie d’officine, plus exposée, concentre la majorité des 334 plaintes déposées en 2021 (281 en 2019), dont 82 % enregistrées devant les conseils régionaux (section A – titulaires) et 7 % pour la section D (adjoints). Ainsi, sur les quelque 322 décisions rendues en 2021, près de 81 % ont porté sur des affaires impliquant un officinal. Dans 57 % des cas, une sanction, au moins, a été prononcée. Pour 58 % d’entre elles, il s’agissait d’une interdiction temporaire d’exercer. Pour illustrer ces affaires, Martine Denis-Linton, conseillère d’État honoraire et présidente de la chambre de discipline du Conseil national, cite l'exemple de ce titulaire qui a comparu en juillet 2021 devant la chambre de discipline du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (CROP) du Grand Est pour « dispensation par du personnel non qualifié, non-respect des règles de délivrance de substances vénéneuses, de stupéfiants, de médicaments dérivés du sang et de produits périmés et thermosensibles et enfin d’absence de traçabilité des alertes et retraits de lots depuis 2016 ».
La section des assurances sociales du Conseil national a, comme à l’accoutumée, statué sur des plaintes émanant de la Sécurité sociale pour des anomalies de facturation, des délivrances de stupéfiants non prescrits ou d'autres irrégularités. Les statistiques des plaintes et des appels restent toutefois à un faible niveau. La chambre de discipline du Conseil national, de son côté, a enregistré 106 appels contre des décisions rendues en première instance et prononcé 83 sanctions individuelles. Là aussi, dans six cas sur dix, le pharmacien a été interdit d’exercer la pharmacie. 16 interdictions temporaires sans sursis ont été prononcées ainsi qu’une interdiction définitive.
Ces plaintes formulées en appel concernent tant l’ouverture tous les dimanches d’une officine non désignée de garde qu’une contestation sur le prix de cession majoré par des délivrances irrégulières. Sur les six plaintes constituées en appel par des individus, cinq portaient sur des différends entre pharmaciens et particuliers tels qu’une agression physique pour confit de voisinage, un défaut d'information sur le taux de remboursement d'un médicament, la méconnaissance du secret professionnel, le refus de délivrance à un patient s'abstenant de communiquer son numéro de téléphone. « Elles ont toutes été rejetées au profit de l’officinal », relève Martine Denis-Linton. Une autre plainte examinée par le conseil national a été acceptée Elle portait sur une erreur de délivrance d'un vaccin adulte à un enfant, heureusement sans conséquence. Le pharmacien a écopé d'une semaine d'interdiction d'exercer, dont 4 jours avec sursis.
Rébellion et outrage
Les autres appels concernaient des plaintes relatives à l'organisation et au fonctionnement de l'officine : litiges dans les services de garde et non respect des horaires du service d’urgence, ouverture sans pharmacien, ou encore absence de traçabilité du frigo, et même dans un cas, non-inscription à l'Ordre d'un adjoint pendant 25 ans ! D'autres manquements – cumulés ou non - ont été relevés pour absence de préparatoire, d’espace de confidentialité, ou encore pour un nombre insuffisant d’adjoints et une délivrance de médicament par des apprenties préparatrices. Dans ces deux derniers cas, il a été retenu respectivement deux mois d’interdiction d’exercice, dont 15 jours avec sursis, et un mois d’interdiction d’exercice, dont 15 jours avec sursis, contre les titulaires incriminés.
Quand ce ne sont pas des manquements à la tenue de l’officine, encombrement, manque d’hygiène ou mauvaise tenue des ordonnanciers susceptibles d’entraîner une interdiction d'exercer de trois mois, le comportement du pharmacien lui-même est sujet à caution. Ainsi, un titulaire a écopé de deux mois d'interdiction d'exercer, dont un avec sursis, pour avoir mis à disposition ses locaux à des infirmiers libéraux dans le cadre de la vaccination. Ou encore, un pharmacien a été mis en cause pour faits de violence, rébellion et outrage sur une personne dépositaire de l'autorité publique dans le cadre de son interpellation sur réquisition du procureur de la République…
D’autres faits relevaient de différends entre pharmaciens, à l'exclusion de la publicité. L’ouverture de l’officine tous les dimanches matin pendant le marché et les jours fériés sans être désigné de service de garde, et sans assurer la totalité du service de garde, a coûté deux mois d’interdiction d’exercer avec sursis au pharmacien contrevenant. Un autre, cumulant sa profession avec la gestion de fait d’une société commerciale, a écopé d’une interdiction d’exercer de six mois. Ont également été traités des contentieux entre titulaires et leur personnel, dont des adjoints. Une affaire concernant la délivrance personnelle en grande quantité de Zolpidem, Stilnox, Bromazepam, Zopiclone et Hydroxydine sur la base d’ordonnances falsifiées et des délivrances irrégulières de ces spécialités à des proches et des patients a valu au pharmacien mis en cause une interdiction d’exercer de neuf mois, dont huit mois avec sursis. Il n’est pas rare non plus que des comportements anticonfraternels soient reprochés dans des affaires pour lesquelles la chambre a l’impression d’être instrumentalisée. « Les argumentations émises dans ces instructions sont ensuite retenues auprès d’autres instances, notamment prud’homales », note Martine Denis-Linton.
Publicité : une zone floue
Dans les autres affaires qui opposaient des pharmaciens, 11 mettaient en cause des faits de publicité. Ce sont le plus souvent des articles paraissant dans la presse faisant état d’un transfert ou de l’historique du groupement auquel l’officine est affiliée. Ce sont aussi des émissions de radios « vantant la qualité et la diversité des services proposés par la pharmacie ». Plus original, un pharmacien a été épinglé pour avoir envoyé une carte postale à tous ses clients en annonçant la réouverture de sa pharmacie incendiée. Ou encore d’autres ont été inquiétés pour des affichages en vitrine. À l’instar de ce pharmacien de Lille qui avait mentionné durant la braderie des promotions à l’année sur la parapharmacie… Dans ces cas précis, soit la plainte a été rejetée, soit les titulaires s’en sont tirés avec un avertissement ou un blâme.
Il est vrai qu'en matière de communication, de nombreux pharmaciens dénoncent aujourd'hui le flou dans lequel ils se trouvent, en l'absence de parution du nouveau code de déontologie, très attendu par la profession. Lors de la Journée de l'Ordre, le ministre de la Santé et la présidente de l'Ordre ont croisé le fer à ce sujet. François Braun, ministre de la Santé, a promis qu'une rencontre serait programmée prochainement entre ses services, les instances ordinales et Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé.
* Rapport d'activité annuel Édition 2021.
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