Le groupe WhatsApp lancé à l’initiative d’Abdelkader Ben Rhouma regroupe aujourd’hui une dizaine de pharmaciens du centre-ville de la cité phocéenne. Des officinaux qui se sentent démunis face aux innombrables vols qu’ils subissent. « Cela fait quatre ans que je travaille dans cette pharmacie et les vols sont de plus en plus nombreux, constate le jeune homme qui a décidé de devenir préparateur en pharmacie pour épauler au comptoir son épouse, titulaire. Avant, les voleurs avaient un certain profil, des hommes, avec des sacoches… on pouvait les repérer. Aujourd’hui, il n’y a plus de profil type. Des mamies volent, des femmes volent en mettant des produits dans la poussette de leur bébé, des enfants de 6 ou 7 ans volent… Peut-être est-ce la faute de l’inflation ? Pour d’autres, c’est la recherche d’adrénaline, de sensations fortes. Quand on les attrape, cela ne leur fait ni chaud ni froid… », raconte-t-il. Abdelkader Ben Rhouma voulait trouver un moyen pour lutter contre ce fléau. Le groupe privé sur WhatsApp permet aux pharmaciens de se partager des photos de voleurs issus des caméras de vidéosurveillance de leur établissement, d’alerter les confrères lorsqu’un voleur vient de sévir dans une officine. « Généralement quand un vol se produit dans une pharmacie du secteur, l’individu vient dans notre pharmacie quelques minutes plus tard. Lorsqu’une personne est signalée sur le groupe, on est prévenu et on peut l’empêcher d’entrer dans l’établissement », détaille-t-il.
Notre comptable a estimé nos pertes liées aux vols à 15 000 ou 20 000 euros par an environ
Abdelkader Ben Rhouma
Les produits de parapharmacie (crèmes hydratantes, cosmétiques, produits solaires…), notamment ceux populaires sur les réseaux sociaux comme TikTok, sont le plus souvent visés par les voleurs. Embaucher un agent de sécurité, pour un coût d’environ 2 000 euros par mois, ne compenserait pas les pertes. Dans l’officine où il travaille, qui accueille parfois près de 300 clients par jour, Abdelkader Ben Rhouma et ses collègues ont commencé à laisser des emballages vides dans les rayons, pour prévenir le vol des produits les plus convoités. « C’est difficile de l’évaluer précisément mais notre comptable a estimé nos pertes liées aux vols à 15 000 ou 20 000 euros par an environ. Certains n’hésitent pas à revenir plusieurs fois dans l’année, en mettant une casquette ou en se laissant pousser la barbe pour ne pas être reconnu mais à force, et sans le vouloir, nous sommes devenus des spécialistes de la reconnaissance faciale », ironise-t-il.
Insulte, menaces et violence
Si gérer tous ces larcins ne suffisait pas, il faut aussi composer avec les fausses ordonnances présentées au comptoir. Là encore, le groupe sur WhattsApp permet aux pharmaciens de s’échanger des informations, de s’alerter mutuellement en diffusant les documents douteux. « Les escrocs ne visent plus tellement les produits psychotropes, trop contrôlés aujourd’hui. Ils visent des produits relativement peu chers et disponibles en grande quantité ». Notamment des produits assez surprenants. « En ce moment, des boissons prévues pour les patients qui souffrent de dénutrition, comme Clinutren, sont devenues très populaires sur les réseaux sociaux. Des gens en prennent pour renforcer leur masse musculaire. Il y a un vrai trafic. Des personnes vont chez leur médecin et lui font faire des ordonnances sous la contrainte. Ils arrivent en pharmacie et récupèrent le produit pour le revendre, à des tarifs défiant toute concurrence », raconte le préparateur. Il a déjà repéré ces boissons, réservées à la vente en pharmacie, dans les rayons de commerces d’alimentation du secteur. Parfois même sur les étals du marché qui se tient une fois par semaine à quelques encablures de l’officine…
Au quotidien Abdelkader Ben Rhouma et les autres membres de l’équipe officinale subissent insultes, menaces voire de la violence physique. Le jeune homme a déjà été frappé devant la pharmacie, un coup de genou dans la poitrine, par une personne qui venait de commettre un vol. « Aujourd’hui, j’ai peur de tomber dans mon quartier sur un individu avec qui je suis en conflit, j’ai peur de recevoir un coup de couteau, je dois surveiller mes arrières… J’aime mon métier, le conseil aux patients, mais tous ces actes finissent par me dégoûter. Par dégoûter tous les pharmaciens. Il faudrait qu’un individu soit sanctionné plus sévèrement dès le premier vol. Même les policiers sont découragés, ils arrêtent des gens qui sont tout de suite relâchés… »
Avec son épouse, titulaire de la pharmacie, Abdelkader Ben Rhouma songe parfois à travailler ailleurs, « à la campagne, sans parapharmacie, pour servir des personnes âgées… ». Il s’inquiète aussi pour l’avenir des officines dans son quartier. « Beaucoup de pharmaciens essaient de vendre, certains depuis 3 ou 4 ans et n’y arrivent pas… Personne ne veut plus s’installer ici », ne peut-il que constater.
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