C’était inéluctable. Rien ne peut désormais arrêter les pharmacies en ligne européennes sur le marché français. Ce qu’avait prédit l’Union des groupements de pharmacies d’officine (UDGPO) à la mi-septembre, est aujourd'hui réalité. Dimanche, à 21 heures, de surcroît à heure de grande écoute, des titulaires, atterrés, ont vu apparaître sur leur écran de télévision un spot publicitaire pour le pharmacien en ligne néerlandais DocMorris*.
Bons petits soldats
« Une publicité qui affichait sobrement le nom du site, souligné par les couleurs de DocMorris. Tout était dit », décrit, bouleversée, une pharmacienne savoyarde. « Quand j’ai vu cette pub sur TF1, juste avant le film, j’ai été écœuré. Les pharmaciens étrangers peuvent faire ce qu’ils veulent sur le territoire français et demain, toi, en bon petit soldat tu vas te remettre à faire des tests antigéniques ! », fulmine Jean-Michel Amar, installé dans l’Allier.
Pour lui, comme pour de nombreux autres officinaux, la publicité faite par la e-pharmacie néerlandaise est la goutte de trop. Avec un accent de provocation d’autant plus mal venu que la profession sort éreintée de vingt mois de lutte contre le Covid. Dépités, les pharmaciens lâchent « nous sommes les dindons de la farce ». Ces incursions promotionnelles sur les écrans français pourraient en effet ressembler à une farce dans un paysage où chaque encart dans la presse locale reste mesuré au centimètre près. Et dans un contexte où les pharmaciens en ligne français sont sommés de respecter des règles très strictes en termes de publicité et de délivrance en ligne de médicaments, en quantités limitées et moyennant questionnaire de santé. Des obligations auxquelles échappent leurs homologues européens qui, potentiellement, exposent leurs clients à des risques sanitaires. « Le déséquilibre est complet, c’est ubuesque ! », ne décolère pas Cyril Tétart, président de l’Association française des pharmaciens en ligne (AFPEL).
« Comment en est-on arrivé à une telle mascarade ? », s’interroge la profession. Vainqueurs devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les pharmaciens français s'estiment aujourd'hui lâchés par leur gouvernement. Alors qu’il suffisait à celui-ci de notifier aux autres États membres les règles de communication et de publicité en vigueur sur le marché de la pharmacie française pour qu’elles soient respectées dans l’Hexagone, Paris s’est abstenu de cette démarche décisive. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir alerté, réclamé, supplié même le ministère de la Santé, depuis juin dernier. Pas plus tard que le 12 octobre, les groupements, les syndicats et les étudiants ont adressé un courrier commun à Olivier Véran. Un appel qui demeure aujourd’hui lettre morte (voir ci-dessous).
Des silences assourdissants
L’inertie de l’État français n’est pas seule à interpeller les pharmaciens. Le silence assourdissant de l’Ordre national des pharmaciens ne manque pas d’interroger sur les motivations de l’instance ordinale. Jean-Michel Amar est d’autant plus remonté que les pharmaciens, totalement muselés, subissent au quotidien les restrictions de l’Ordre en matière de communication. « Nous n’avons même pas le droit de remettre à nos clients les chèques cadeaux distribués par les municipalités. Nous sommes exclus de ces opérations menées par les collectivités au prétexte que cela nous ferait de la publicité. Mais que des étrangers communiquent à la télé en prime time ne dérange personne ! », dénonce-t-il.
Face à cet immobilisme des autorités, toutes les conditions étaient donc réunies pour que les pharmacies en ligne européennes s’engouffrent dans le boulevard qui leur était offert. À l’affût du marché français depuis plusieurs années, elles n’attendaient qu'une faille. L’Hexagone est d’ailleurs pour elles un terrain de jeu familier depuis 2019, date à laquelle Lagardère vend Doctipharma au e-pharmacien suisse Zur Rose**, qui n’est autre que le propriétaire de DocMorris (voir encadré), et accessoirement de l’Espagnol PromoFarma. Ce qui n'est pas indifférent, car l’approvisionnement du marché français par DocMorris pourrait transiter par la péninsule ibérique.
Et demain la e-prescription
Pour parfaire sa stratégie, Zur Rose a annoncé jeudi que DocMorris (anciennement Doctipharma en France) devient la marque ombrelle sous laquelle le groupe opérera désormais en Europe. DocMorris a ainsi pour ambition de faire évoluer son modèle de marketplace de parapharmacie française vers une application complète de services de e-santé. C’est par conséquent un écosystème complet de services en e-santé qui va émerger de cette stratégie. « L'application DocMorris a d’ailleurs été lancée en juillet 2021 en France et va être largement développée à l'avenir », déclare David Maso, dirigeant de DocMorris France. Il précise que le prochain objectif de l'entreprise en France sera de compléter son offre avec un service d’e-prescription comme en Allemagne.
Et il ne faut pas croire que Shop Apotheke, un autre e-pharmacien néerlandais par lequel tout est arrivé, reste tapi dans l'ombre. Celui-ci dispose déjà de têtes de pont sur le marché hexagonal, ne serait-ce que par la présence de sa filiale Nu3 qui distribue ses compléments alimentaires dans les Monoprix et désormais dans les magasins Carrefour.
La boucle semble désormais bouclée. Mais un maillon peut encore sauter. Encore faut-il convaincre le gouvernement et l’Ordre des pharmaciens que leur passivité ne nuit pas seulement aux pharmacies en ligne françaises. Le réseau officinal dans sa totalité, et au-delà, la santé publique, pourraient être les prochaines victimes de ces groupes dont les ambitions sont clairement affichées. Avec le risque que demain, en lieu et place de pharmacies néerlandaises, Amazon Pharmacy s’affiche sur les écrans de nos téléviseurs !
* Cette campagne télé accompagnée d'un affichage extérieur, créée par l'agence Pavlov, sous le slogan « La santé que j'aime » sera diffusée pendant deux mois, à raison d'un spot de 20 secondes et plusieurs de 10 secondes sur une multitude de chaînes françaises des groupes TF1 et M6.
**Plus de 10,5 millions de clients en Europe. Chiffre d'affaires de plus de 1,634 milliard d'euros en 2020. En 2020, son activité a augmenté de +14,4 % (chiffres entreprise).
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