Le 22 mars 2017, un décret permettait aux pharmaciens adjoints de détenir des participations directes ou indirectes (1) à hauteur maximale de 10 % du capital de la société d’exercice libéral (SEL) qui exploite l’officine dans laquelle il exerce. « C’est une nouvelle ère qui s’ouvre ! », promettait Isabelle Adenot, alors présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.
Un statut inconfortable
Trois ans plus tard, les adjoints investisseurs se comptent sur les doigts de la main. De même, il reste rare qu’un titulaire ouvre le capital de son officine à son adjoint. Pourtant en se dotant de ce dispositif, la profession souhaitait disposer d’un outil susceptible de lier davantage l’adjoint à son officine, dans l’objectif ultime d’en faire un associé, voire un repreneur. Car, rappelle Jean-Jacques Le Bian, membre du bureau de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), « l’adjoint a pour vocation de devenir titulaire. C’est dans son ADN de vouloir « upgrader » sa fonction par la fonction de titulaire ».
D’outil managérial destiné à motiver un adjoint et à reconnaître ses compétences, cette entrée de l’adjoint au capital doit lui permettre de gravir les échelons afin que le titulaire puisse, en toute quiétude, céder son officine le moment venu. Tels pourraient être les objectifs de ce dispositif à l’heure où nombre de titulaires se trouvent au seuil de la retraite. Mais la réalité se révèle tout autre. Le management d’un adjoint associé peut même virer au casse-tête. « La relation "titulaire/salarié cadre" va être sensiblement modifiée par un contrat d'association qui donne plus de droits à l'adjoint ; on augmente alors mécaniquement les zones de frictions ! », analyse Philippe Becker, expert-comptable chez Fiducial. Des frictions qui peuvent devenir fatales lorsque l’adjoint, ne donnant plus satisfaction, doit être licencié. « Le titulaire devra alors "casser" deux contrats : le contrat de travail et le contrat d’association », poursuit-il.
C’est dire si ce dispositif expose titulaire et adjoint. Alors qu’il est souvent considéré comme porte-parole de l’équipe officinale - intermédiaire ou tampon - dans le dialogue avec le titulaire, l’adjoint va se retrouver à la fois patron et salarié puisqu’il aura conservé ce statut plus protecteur. A contrario, le titulaire peut être réticent à ouvrir ses livres de comptes à ce salarié, tout associé qu’il soit. « Côté titulaires, il y a une certaine frilosité à faire participer l'adjoint au capital : en tant qu'associé il aura droit à une information financière détaillée sur l'officine et il se verra attribuer des dividendes », confirme Philippe Becker, s’interrogeant par ailleurs : « l’adjoint sera-t-il plus motivé pour autant, alors que son coassocié aura 90 % du bénéfice distribuable ? ».
Un effet seuil
Car au-delà de ces freins psychologiques, le seuil de 10 % fixant les parts détenues par l’adjoint est l’élément le plus cité parmi les freins au dispositif. « Trop élevé » lorsqu’il s’agit, comme le souligne Jean-Jacques Le Bian, de rembourser un emprunt avec un salaire d’adjoint. Et en même temps, « insuffisant » pour permettre à l’adjoint d’atteindre rapidement ses objectifs de rachat de l’officine et surtout pour avoir voix au chapitre. « L’adjoint en tant qu’actionnaire minoritaire ne dispose que de peu de pouvoir. C’est souvent le titulaire qui continuera à décider de tout », insiste Francis Brune, directeur ingénierie financière et patrimoniale chez Interfimo. Le titulaire gardera sa position de force. Y compris lorsqu’il s’agira de prendre des mesures décisives, comme la cession de l’officine. « Cette fraction de 10 % n'est pas négociable sur le marché de la transaction, ce qui signifie que le seul potentiel acquéreur en cas de mésentente est le titulaire principal », constate Philipe Becker.
Partageant cette analyse, Hugues Spriet, dirigeant du cabinet Pharma Cession Conseil, ajoute qu’il est plus difficile de trouver acquéreur pour une pharmacie dans cette configuration. Quant à considérer le dispositif comme un moyen de mettre le pied à l’étrier dans le but de reprendre l’officine, il n’a pas fait jusqu’à présent ses preuves. Jean-Jacques Le Bian estime même qu’il se trouve même à contre-courant, alors qu’émergent de nombreuses solutions d’aides à l’installation, dont PharmEquity élaboré par la FSPF. L'entrée de l'adjoint au capital pourrait être même une entrave à la fluidité du marché. C'est notamment le cas lorsque se profile un projet externe à l'officine où il est employé, « si l'adjoint veut s'installer, une partie de ses liquidités seront bloquées dans sa participation », objecte Francis Brune.
Un placement attractif ?
Dans ces conditions, la seule finalité de ce dispositif serait-elle de permettre un complément de revenu aux adjoints ? Au regard des nombreux freins évoqués, Philippe Becker pense que cette opération ne peut pas être considérée comme un placement financier « car l'adjoint joue tout sur un seul cheval sans être le jockey ! ». Certains experts, au contraire, notent que cette prise de participation peut être un excellent placement financier, à l’instar de Francis Brune : « d’après nos calculs de TRI (2), le taux de rendement peut être élevé, environ 14 % » « A condition toutefois, ajoute-t-il, de bien s’entendre avec l’actionnaire majoritaire et de pouvoir sortir dans de bonnes conditions. Il faudra y veiller dans les clauses statutaires du pacte d’associé. Pour résumer, cela peut être un excellent placement, mais cela sous-entend qu’il y ait une excellente entente et surtout un bon timing. Il faudra être d’accord sur le moment où l’on voudra céder à un tiers. » En tout état de cause, l’adjoint, en tant que minoritaire, ne pourra difficilement s’opposer à la vente, le titulaire aura le pouvoir de négocier. Et l’adjoint se verra imposer le prix ou gardera sa participation avec le nouvel acquéreur.
Face aux nombreuses contraintes qui conditionnent son succès, ce dispositif semble par conséquent voué à rester symbolique. Sauf à voir son seuil relevé à 25 %, voire 30 %, comme le préconisent de nombreux observateurs. Ou encore à inciter fiscalement les titulaires. « Il faut qu’un marché se crée. Or y aura-t-il des vendeurs ? On sait aujourd’hui qu’un certain nombre de titulaires sont au seuil de la retraite. Seront-ils pour autant séduits par cette solution ? Je n’en suis pas sûr car ça ne facilite pas forcément la transmission. Mieux vaut prévoir une transmission avec une montée en puissance progressive de l’adjoint devenant associé, puis titulaire », commente Francis Brune.
Faut-il pour autant renoncer à ce dispositif ? Ne vaudrait-il pas mieux le revisiter, alors que, parallèlement, le principe de participation des salariés refait surface dans le discours politique, et que d’autres professions libérales cumulent avec succès le statut de salarié et celui d’associé ? L’officine n’a peut-être pas dit son dernier mot.
(1) Via une société de participations financières de profession libérale (SPFPL) de pharmacien d'officine.
(2) Taux de rentabilité interne (voir site Interfimo).
A la Une
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Cas de comptoir
Douleur et fièvre au comptoir
Gestion comptable
Fidéliser sa clientèle ? Oui, mais pas à n’importe quel prix