« Lors d’une soirée étudiante, après avoir été droguée à mon insu, j’ai été violée. Je n’en avais aucun souvenir, mais visiblement il en a parlé à ses amis qui m’ont fait remonter l’information… » C'est l’un des très nombreux témoignages évoqués lors de la conférence durant laquelle l’ANEPF a révélé les inquiétants chiffres de son enquête sur les violences sexuelles dans les facultés de pharmacie. Sur les 2 103 étudiants et étudiantes interrogés, la moitié affirme avoir déjà fait l’objet de remarques sexistes au sein du milieu universitaire. Presque autant ont subi du harcèlement sexuel durant leurs études, et un quart a été victime d’agressions sexuelles. Les femmes sont surreprésentées parmi les victimes. Et pour 4,2 % d’entre elles, c’est d'un viol dont il est question.
Le constat est « affligeant », déplore Numan Bahroun, président de l’ANEPF, qui dresse le portrait d’un fléau généralisé : les étudiants sondés originaires de chacune des 24 facultés de pharmacies Françaises, sont issus de toutes les promotions et représentent tous les parcours d’orientation.
La faculté, lieu dangereux
D'où viennent ces agressions ? « D’étudiants très souvent. Il n’y a pas eu une année de vie à la faculté sans ce genre de gestes », révèle un témoignage. En effet, les étudiants sont les auteurs de 89 % des remarques sexistes, 91,4 % des harcèlements, et 83,4 % des violences. Des actes qui arrivent, selon un témoin, « tout le temps : dans la vie associative, durant les soirées étudiantes, pendant les cours… ». Un autre témoignage : « Pendant le week-end d’intégration, un étudiant visiblement intéressé par moi m’a suivie jusque dans les toilettes et m’a retenue physiquement. J’ai réussi à m’en défaire et à m’enfermer dans les W.-C. Puis il a défoncé la porte… » Commentaires scabreux, mains aux fesses, pénétrations forcées d’étudiantes parfois inconscientes… les exemples sont légion. Les traditions sexistes, ainsi que « l’héritage carabin », sont d’ailleurs plusieurs fois invoqués pour minimiser, voire légitimer ces violences.
Un personnel pédagogique incriminé mais intouchable
Attouchements sur les étudiants, chantages aux notes de TP en cas d’avances refusées… Le personnel pédagogique (professeurs et doyens) n'est pas étranger au phénomène. Il est ainsi cité dans l'enquête pour 30,3 % des remarques sexistes, 13,9 % des harcèlements sexuels et même 4,4 % des cas d’agressions. Et jouit d'une impunité quasi-totale : « J’ai plusieurs amies qui ont relevé des comportements déplacés de la part de certains professeurs en TP. Plusieurs étudiantes ont tenté de dénoncer ces agissements, mais la doyenne a dit que pour faire tomber ces profs, il faudrait plusieurs témoignages, parce qu’ils sont protégés par nombre de leurs collègues », relate une future pharmacienne.
Le milieu professionnel pas épargné
Le calvaire des étudiants dépasse les murs des facultés pour se poursuivre dans le milieu professionnel. Derrière le comptoir d'une pharmacie, un tiers des stagiaires (en majorité des femmes) a été victime de remarques sexistes, surtout de la part des patients. Ou parfois des titulaires. « On m’a conseillé de faire officine pour faire du mi-temps parce que la place de la femme c’est à la maison », rapporte une étudiante. Quant aux agressions sexuelles (15 % des étudiants), elles sont commises par l'équipe officinale dans la moitié des cas. Une autre raconte, avec force détails, le viol imposé par son titulaire, lors de son stage de 6e année. Il n'a jamais été inquiété. Elle, a changé de pharmacie. Lors du stage hospitalier, les médecins représentent la majorité des agresseurs : « Un médecin m’a mis la main aux fesses en me disant " ça doit bien claquer en levrette ". » Consternant.
Pourtant, seulement 6 % des étudiants signalent ces agissements, et 83,3 % de ceux l’ayant fait considèrent la démarche comme inutile. Une résignation regrettable, due à l’absence de sanctions ou même de retours, en supposant que les signalements soient pris au sérieux. Gaël Grimandi, président de la Conférence des doyens de pharmacie et doyen de la faculté de pharmacie de Nantes, constate pour sa part : « Depuis que je suis doyen, je n’ai pas eu de signalement. C’est la preuve qu’il faut impérativement former et sensibiliser le personnel et les étudiants sur ce sujet », avant de rappeler que les UFR n’ont ni l’autorité, ni la capacité de prononcer des sanctions.
Sensibiliser, former et guider
Devant l’ampleur du phénomène, l’ANEPF et la Conférence des doyens en pharmacie ont présenté 13 mesures réparties selon deux axes : la lutte contre les conséquences des violences et celle contre les violences elles-mêmes et la sensibilisation à la question. Ces mesures comprennent notamment la sensibilisation et la formation des étudiants et du personnel pédagogique sur ce sujet, l’amélioration des dispositifs de signalement en place, un meilleur accompagnement des victimes et la création de groupes de parole.
« La conférence des doyens a décidé de mettre en œuvre ces recommandations, et nous allons présenter les résultats de l'enquête à tous les étudiants. Cette enquête donne des chiffres, une preuve matérielle. Ce n’est pas un problème que l’on peut ignorer ! », affirme Gaël Grimandi. Il s’est aussi engagé à lancer une procédure pour tout signalement effectué à l’encontre d’un professeur ou d’un titulaire, prévoyant des sanctions et le retrait de l’agrément de maître de stage.
De son côté, l’ANEPF « n’accepte pas et n’acceptera jamais qu’une omerta règne dans le milieu pharmaceutique. Nous invitons et incitons l’ensemble des acteurs à se joindre à nous pour qu’aucun étudiant n’ait à subir ces horreurs », a affirmé Numan Bahroun. L’association a également appelé les étudiants à se remettre en question, cette enquête les concernant tout particulièrement. Les actes devront être à la hauteur des mots.
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