SUSANNE Sokoll-Seebacher, une pharmacienne autrichienne, avait souhaité ouvrir une officine à Pinsdorf, un petit village situé en Haute-Autriche, mais l’Ordre s’y était opposé, arguant que le secteur ne disposait pas, comme le prévoit la loi, d’un potentiel minimal de 5 500 habitants. De plus, cette création aurait aussi fait passer la zone de chalandise de la pharmacie du village voisin, Altmünster, sous la barre des 5 500 habitants. La pharmacienne a rétorqué que la suppression des liaisons routières directes entre les deux villages justifiait tout à fait l’ouverture d’une officine à Pinsdorf. Mais l’affaire a finalement abouti devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à la demande de la justice autrichienne, bien qu’elle soit purement nationale : l’Autriche désirait en effet savoir si l’application des quotas s’oppose, ou non, à la liberté d’installation prévue par l’Europe.
Jurisprudence.
C’est en cela que l’affaire de Pinsdorf intéresse tous les pharmaciens européens : outre l’Autriche, plusieurs pays, dont la France, l’Espagne, le Portugal et l’Italie, exigent un nombre minimal d’habitants pour autoriser une création. Comme elle l’avait déjà fait en 2010 lors d’une affaire concernant l’Espagne, la Cour a rappelé que l’application de quotas géographiques ne s’oppose pas à la liberté d’installation, dès lors que ces quotas, destinés à permettre la viabilité des pharmacies, répondent ainsi à un objectif de santé publique et de bonne répartition des structures de santé. Toutefois, et c’est en cela que l’arrêt innove, la Cour considère que ces quotas ne doivent pas être appliqués d’une manière uniforme et systématique.
Dans le cas de Pinsdorf, il est clair que les habitants du village, notamment ceux qui ont du mal à se déplacer, ont tout intérêt à disposer d’une officine dans leur commune, même si les quotas ne sont pas atteints. La Cour a donc estimé que si la liberté d’établissement ne s’oppose pas aux quotas, elle s’oppose « à une réglementation qui ne permet pas aux autorités compétentes de tenir compte des particularités locales et de déroger ainsi au nombre strict de personnes à approvisionner ».
En d’autres termes, la Cour valide les quotas, mais aussi les dérogations. L’Ordre des pharmaciens autrichiens, réagissant au jugement, s’est certes félicité de la confirmation du principe des quotas, mais a regretté la nuance apportée sur les dérogations.
Cet arrêt, amené à faire jurisprudence, se traduira certainement par la création de nombreuses nouvelles officines en Autriche, un pays qui, par ailleurs, tolère la propharmacie dans les zones enclavées ne disposant pas de pharmacies. Mais il pourrait relancer aussi le débat sur les créations dérogatoires dans d’autres pays, et notamment en France : alors que les lois de 1999 et de 2008 sur les créations et les répartitions avaient notamment pour objet de limiter les dérogations, la question pourrait retrouver une certaine actualité à la lumière de ce jugement.
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