Le Dr Ali Djemoui, médecin généraliste, était installé depuis plus de 10 ans dans le quartier du Bois-l'Abbé à Champigny-sur-Marne, en région parisienne. À partir de la fin du mois de février, il aurait reçu près de 1 400 patients, sans avoir suffisamment de surblouses et de masques FFP2 pour pouvoir se protéger. Le 21 mars, le Dr Djemoui a ressenti les premiers symptômes de la maladie. Hospitalisé suite à l'aggravation rapide de son état de santé, il a finalement été emporté par le Covid-19 le 2 avril dernier, à l'âge de 59 ans.
Son épouse, qui se démène aujourd'hui pour lui trouver un successeur et ne pas laisser ses patients sans médecin, a décidé de porter plainte pour homicide involontaire contre la direction générale de la Santé (DGS), l'agence régionale de santé (ARS), mais aussi contre le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP). Une plainte datée du 20 mai dernier auprès du procureur de la République près le tribunal de Créteil, dont « le Quotidien » a pu avoir copie. La plainte, déposée par l'avocat de la plaignante, Me Fabrice Di Vizio, accuse le CNOP d'avoir « ni plus ni moins entretenu la pénurie de masques de type FFP2 ». Selon le texte : « La faute consiste en l’absence de mise à disposition des masques de type FFP2 à même d’assurer une protection efficace du Dr Djemoui contre le Covid-19, auquel il était quotidiennement exposé. (...) Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens aurait naturellement dû être au cœur du dispositif d’acquisition et de fourniture à titre gracieux, s’agissant de la dotation d’État, ou à titre onéreux. (...) Malheureusement, le CNOP a délibérément choisi d’entraver la possibilité pour les pharmaciens d’acquérir aux fins de revente des masques de type FFP2, menaçant de poursuite disciplinaire ceux qui auraient l’outrecuidance de chercher à fournir leurs clients en équipement individuel de protection. » La plainte s'appuie notamment sur l'arrêté du 23 mars 2020, prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Arrêté qui prévoyait, en son article 3, que « des boîtes de masques de protection issues du stock national (puissent) être distribuées gratuitement, jusqu’au 15 avril 2020 ». Or, selon l'analyse de Me Di Vizio, « cette disposition n’emporte ni directement ni indirectement l’interdiction de vente de masques aussi longtemps que le pharmacien disposerait par ailleurs de stocks suffisants. (..) En conséquence, les pharmaciens pouvaient et devaient s’approvisionner en masques FFP2. Même si la présidente du CNOP semble penser que quelques millions de masques FFP2 n’auraient rien changé, le CNOP aurait dû inciter les pharmaciens à chercher à importer des masques FFP2 afin d’augmenter par tous moyens leur nombre sur le territoire national. En tout cas, il n’aurait certainement pas dû inciter les pharmaciens à ne pas le faire », estime l'avocat dans son argumentaire. Il n'existe pas de jurisprudence à l'heure actuelle concernant des plaintes en rapport avec le Covid-19 et aucune autre procédure similaire visant le CNOP n'est aujourd'hui en cours.
« Je ne pense pas que l'Ordre soit responsable »
Pharmacien dans le quartier de Bois-l'Abbé, Martin Huynh connaissait bien le Dr Djemoui. C'est en effet dans son officine que lui et son épouse venaient récupérer les dotations de masques de l'État auxquels le généraliste avait droit. « Au cours du mois de mars, je lui ai donné environ 150 masques chirurgicaux et une vingtaine de masques FFP2 », précise-t-il en vérifiant son listing. Il a donc pu lui délivrer quelques masques FFP2 sur cette période, même s'il n'a pu, à son grand regret, lui donner les 18 unités par semaine auxquels avaient droit les professionnels de santé. « Quand j'ai appris son décès, spontanément je me suis dit "on aurait dû en fournir le plus possible aux prescripteurs". J'ai ressenti un peu de culpabilité, mais que pouvait-on faire ? Nous n'en avions pas et il était impossible d'en acheter, tient-il à rappeler. Je n'allais quand même pas en acheter à des fournisseurs douteux qui me proposaient de me vendre des masques à 2 euros pièce sur un parking ? » S'il éprouve, comme beaucoup d'officinaux, beaucoup de regrets quant à la gestion de la situation, il s'avoue très surpris par la volonté de poursuivre le CNOP dans cette affaire. « Mes confrères et moi-même sommes bien sûr furieux de ne pas avoir pu suffisamment protéger les autres, mais est-ce que l'on peut considérer que l'Ordre puisse être tenu pour responsable ? Franchement, je ne le crois pas », estime l'officinal.
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