Une nouvelle fois, les pharmaciens ont été déboutés dans un procès intenté à la propharmacie. Saisie par le syndicat des pharmaciens d’Eure-et-Loir (FSPF), la Cour administrative d’appel de Nantes vient de confirmer la décision du tribunal administratif d’Orléans qui reconnaissait à une médecin généraliste le droit de dispenser des médicaments.
La justice s’en est tenue à la stricte application du droit qui reconnaît l’exercice de la propharmacie aux médecins lorsque « l’intérêt de la santé publique l’exige », comme le prévoit l’article L.4211-3 du Code de la santé publique (CSP). Cette disposition autorise en effet une dérogation à l’article L. 5 69 du CSP qui déclare l’exploitation d’une officine « incompatible avec l’exercice d’une autre profession, notamment celle de médecin ». Elle constitue également une entorse au sacro-saint précepte « qui prescrit ne vend pas ».
S’ils ne remettent pas en cause les autorisations délivrées aux propharmaciens de l’ancienne génération, les pharmaciens s’inscrivent contre le renouvellement à leurs successeurs. Car, pour marginale qu’elle soit, la propharmacie qui est exercée dans certaines régions montagneuses ou sur les îles de Bréhat, Sein, Batz, Houat et Hoëdic, n’a aucune raison de persister, selon eux, dans ces régions de plaine où le service pharmaceutique est garanti.
La possibilité d'une île
Cette pratique est particulièrement pointée du doigt par les pharmaciens de la zone de chalandise des médecins propharmaciens, car facteur substantiel de manque à gagner. En l’absence de chiffres, les pharmaciens sont cependant bien en mal d’apporter des arguments convaincants. Car s’il est indéniable que cette patientèle captive des médecins propharmaciens procure un revenu supplémentaire aux quelque 105 praticiens qui exercent cette activité (1), aucune statistique n’est connue sur le volume de leurs délivrances.
À noter que les propharmaciens doivent s’acquitter eux aussi d’une TVA sur la vente des médicaments ou d’autres produits, tels les dispositifs médicaux, comme l’indique le « Bulletin officiel des finances publiques-impôts » (BOFiP-Impôts). Mais ils sont également autorisés à facturer un honoraire de dispensation dans les mêmes conditions que les pharmaciens (2). De là à crier haro sur ces médecins à la fois « juges et arbitres », il n’y a qu’un pas que les pharmaciens s’empressent de franchir. Sans compter, comme l’avance l’un d’entre eux, que le patient ne bénéficie pas, dans le cadre de la délivrance par un propharmacien, du contrôle de l’ordonnance assurée par un pharmacien d’officine.
Mais ce n’est pas le seul danger - potentiel - de la propharmacie. Car sous son caractère anachronique, sinon désuet, cette pratique pourrait induire d’autres risques, comme le décrit Albin Dumas, président de l’Association de pharmacie rurale (APR). « Les propharmaciens ont trouvé la parade, ils installent en association des jeunes praticiens qui, à leur tour, sont autorisés à dispenser des médicaments. Les collectivités locales n’y trouvent rien à redire, c’est même un moyen pour elles de conserver leur médecin et de satisfaire ainsi leur population », expose le président de l’APR, lui-même titulaire en Ardèche, un département qui ne compte pas moins de 9 propharmaciens (1).
Or, poursuit-il, ces mêmes collectivités feraient bien de prêter garde à ces propharmaciens dont la seule présence sur le territoire dissuadera d’autres médecins de s’installer. Cette distorsion de concurrence entre médecins avait d'ailleurs déjà été évoquée devant le Sénat en 1990 (3). Il en est de même pour les officines. « Même si un quota de population était atteint, on pourrait s’interroger sur l’opportunité d’y implanter une pharmacie », remarque Albin Dumas.
Dans l’absolu, la propharmacie pourrait donc nuire au maillage officinal, voire favoriser, à terme, la désertification. Ce ne sont, certes, actuellement que des conjectures. Mais l’APR n’en réaffirme pas moins sa position. La propharmacie n’a, selon elle, de légitimité que sur les îles.
(1) Sources : Instruction DSS/DSSIS/DREES N° 2013-337 du 30 août 2013 relative à l'enregistrement des médecins propharmaciens dans le registre FINESS. Annexe IV.
(2) Décret du 26 janvier 2015 paru au « Journal officiel » du 28 janvier 2015.
(3) Réponse au sénateur Claude Huriet (Meurthe-et-Moselle) publiée au « Journal officiel » du sénat du 30 août 1990, page 1919.
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