L’épais dossier porté par la jeune avocate semble aussi lourd que les fautes reprochées à sa cliente. Lundi 5 octobre, devant l’impressionnante assemblée du Conseil national de l’Ordre, Me Floriane Beauthier paraît bien seule pour défendre une énième fois les intérêts de Mme C., titulaire à la Réunion. Cette dernière n’a pas fait le déplacement, pour raisons de santé. C’est en tout cas le motif invoqué par sa défense. Mais peut-être Mme C. est-elle un peu usée par la longueur de cette procédure, engagée en décembre 2011, ou simplement pessimiste sur les chances de succès de cet ultime appel… Il faut dire que les charges alignées dans la plainte initiale sont lourdes : surfacturation de dispositifs médicaux (DM), facturations de DM non remboursables, doubles facturations à des patients en HAD, et surtout, revente de médicaments périmés récoltés pour le circuit Cyclamed. Au-delà des risques pour la santé publique et de l’atteinte à la dignité professionnelle, le seul préjudice financier s’élèverait à plus de 1,4 million d’euros, selon l’assurance-maladie.
Question prioritaire de constitutionnalité
Mais revenons rapidement sur la chronologie de cette longue procédure. Le 5 avril 2012, le tribunal correctionnel de Saint-Denis de La Réunion jugeant la pharmacienne coupable d’« escroquerie » et de « distribution au public de MNU », la condamne à deux ans de prison avec sursis et à la réparation des dommages causés. Cinq mois plus tard, le conseil central de la section E de l’Ordre (Outre-mer) décide d’infliger à la titulaire indélicate la sanction suprême d’interdiction définitive d’exercer la pharmacie. Au motif que la condamnation disciplinaire n’est qu’une « reprise résumée des termes du jugement correctionnel », Mme C. fait appel. Appel rejeté par le CNOP qui confirme la sanction le 18 mars 2014.
Mais la pharmacienne ne baisse pas les bras et brandit l’argument de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le CNOP avait dans un premier temps refusé en décembre 2013 de transmettre au Conseil d’État la QPC soulevée par Mme C., à savoir : « la présence de représentants de l’État dans la composition des chambres de discipline ordinales, prévue par le Code la Santé publique, porte-t-elle atteinte aux droits et libertés constitutionnels, et notamment à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen garantissant l’impartialité et l’indépendance de l’exercice des fonctions juridictionnelles ? » Par un pourvoi en cassation, la titulaire obtient finalement du Conseil d’État le renvoi au Conseil constitutionnel de sa QPC. Le 20 mars 2015, le Conseil constitutionnel tranche : le principe d’impartialité est bien respecté mais pas celui d’indépendance. Résultat, le Conseil d’État juge que l’interdiction d’exercer confirmée par le CNOP en mars 2014 doit être annulée et renvoie l’affaire devant la chambre de discipline du CNOP.
Non bis in idem
Ce lundi 5 octobre, près de 4 ans après la première plainte, c’est donc la seconde et dernière fois que les conseillers ordinaux ont à juger les pratiques douteuses de leur consœur réunionnaise. Après une longue lecture des faits, Mme Aullois-Grillot, rapporteur, cède la parole à ses pairs. Mais l’assemblée reste silencieuse, comme assommée par la longue litanie des malversations commises par la titulaire absente. La parole est à la défense. Face à une telle accumulation de témoignages confondants et de preuves accablantes, l’avocate a choisi de ne pas plaider sur le fond. Il ne sera donc question ni du panier bourré de cartes Vitale retrouvé sur un comptoir de l’officine, ni des paires de bas de contention facturés deux fois au motif qu’il y a deux jambes, ni bien sûr de la revente des MNU instituée en système…
« Vous connaissez bien les faits, et pour cause, ce sont les mêmes qui ont été jugés au pénal », attaque l’avocate. Et l’on comprend vite que la plaidoirie s’en tiendra à un argument de forme. « Selon l’article 4 du Protocole n° 7 annexé à la Convention européenne des droits de l’Homme, signé par la France, nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits. » Cette règle, dite « non bis in idem », comme l’ensemble des traités internationaux, s’impose aux États avec une autorité supérieure à celle de leurs propres lois. « Autrement dit, résume Me Beauthier, elle doit aussi être respectée par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, lequel, lorsqu’il statue en matière disciplinaire, est une juridiction administrative spécialisée. » Seule une « réserve française » aurait pu déroger au principe non bis in idem, précise-t-elle toutefois. Cette réserve stipule que l’interdiction de cumul de poursuites ne vaut qu’en matière pénale, et ne s’applique donc pas aux procédures disciplinaires. Mais l’avocate a potassé son sujet et plante tranquillement le clou de sa démonstration : « mais la réserve française date d’un décret de janvier 1989, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a adopté une jurisprudence radicalement contraire dans de nombreux arrêts postérieurs à cette date. Dès lors les juridictions nationales, y compris l’Ordre des pharmaciens, ont l’obligation d’écarter la réserve française. » Et Me Beauthier de conclure en demandant l’annulation pure et simple des poursuites disciplinaires contre sa cliente et le rejet des plaintes formées à son encontre.
Si l’argument de procédure s’avère fondé, ce coup de tonnerre jurisprudentiel pourrait modifier en profondeur les règles et le fonctionnement de l’institution ordinale. Verdict dans un mois.
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