Le Quotidien du pharmacien.- La profession de pharmacien vient de traverser un des mois d’avril les plus catastrophiques depuis des décennies en matière d’activité. Selon vos observations, les aides orchestrées par l’État sont-elles suffisantes et en adéquation avec les besoins des officinaux ?
Philippe Becker.- Nous l’avons déjà souligné le mois dernier, les pharmaciens étaient globalement peu éligibles aux dispositifs d’aides qui ciblaient les toutes petites entreprises, et tout particulièrement celles qui étaient fermées. En revanche, les aides de trésorerie qui se déclinent en report d’échéances fiscales, sociales et bancaires ont été sollicitées à chaque fois que cela était vital pour l’entreprise. Il en a été de même pour les emprunts de trésorerie garantis par l’État français. Sur ce plan, les officinaux ont été soutenus comme l’ensemble des entreprises françaises qui ont maintenu une activité.
Les nouveaux dispositifs d’annulation de charges sociales et fiscales sont-elles applicables aux officines ?
Catherine Baffos.- Non car ils visent des commerces fermés administrativement. En revanche les pharmaciens peuvent demander l’aide de la CNAM qui, elle, s'adresse spécifiquement aux professions de santé qui ont vu leur activité réduite en avril par les effets indirects de la crise du Covid-19.
Comment fonctionne cette aide ?
Catherine Baffos.- Cette aide vise à couvrir une partie des charges fixes en fonction de la baisse d’activité. L’aide est déclenchée lorsque le chiffre d’affaires TTC pour la période du 16 mars au 30 avril 2020 est inférieur à une référence qui est égale aux 3/24e du chiffre d’affaires TTC réalisé sur l’année civile 2019. Attention, lorsque l’on évoque le chiffre d’affaires il s’agit des ventes et honoraires (à la boîte et à l’ordonnance) ainsi que les dispositifs médicaux présentés au remboursement en tiers payant (AMO et AMC).
Pourriez-vous détailler ce mécanisme ?
Catherine Baffos.- Cette compensation de perte d'activité est calculée à partir d'un taux de charge fixe standardisé pour la profession de pharmacien d’officine. Pour 2019, le taux de charge retenu est de 22 % jusqu’à 1 860 K€ de CA et 18,7 % au-delà ; à cela s’ajoute le coût des charges sociales d’un cadre pharmacien au coefficient 800 (estimé à 4 305 €mois si l’activité est supérieure à 60 % pendant la période de crise, 3 444 € si l’activité est comprise entre 30 et 60 % et 3 014 € en deçà de 30 %). Pour 2020 le taux de charge fixe majoré est de 26 %. De cette compensation financière versée par la CNAM doivent être déduites les autres aides perçues ou à percevoir à hauteur de 75 % (chômage partiel, indemnités journalières Sécurité sociale, fonds de solidarité). Une nouvelle demande d’avance pourra être formulée à la fin de chaque mois pendant toute la durée de la crise. Cette aide ne pourra être calculée précisément qu’à la fin de la période épidémique, quand les données seront stabilisées et connues par l’assurance-maladie.
Par conséquent, cette aide ne compense peu ou prou que la perte de l’activité remboursable !
Philippe Becker.- C’est exact, le médicament conseil et la parapharmacie ne sont pas pris en compte, ce qui est logique dans le cadre d’un financement versé par la CNAM qui n’a pas vocation à aller au-delà de son périmètre.
À court terme, comment prévoyez-vous l’activité sur les prochains mois ?
Philippe Becker.- Aujourd’hui les incertitudes sont légion et comme le disait Pierre Dac : « le problème avec les prévisions c’est qu’elles concernent l’avenir ». La bonne nouvelle est que les patients et clients reprennent le chemin des officines pour acheter des masques ! Bien évidemment ce n’est pas le revenu procuré par ce produit qui va sauver la perte d’activité d’avril, mais un client qui pousse la porte d’une officine c’est une bonne nouvelle, c’est un conseil qui va être demandé et peut être un produit vendu. On peut aussi espérer le retour des patients qui souffrent de pathologies chroniques dans les cabinets médicaux et par effet de ricochet dans les officines. Et puis en région parisienne, les officinaux espèrent la rentrée des Franciliens exilés à la campagne ou au bord de mer. Tout cela devrait faire repartir l’activité milieu mai.
Sur le moyen terme, pensez-vous que les pharmaciens retrouveront l’intégralité de leur clientèle comme auparavant ?
Catherine Baffos.- Il n’est pas exclu que l’on assiste à une redistribution des cartes car la limitation des déplacements pendant deux mois et les contraintes liées aux transports en commun dans les grandes villes, peuvent inciter les patients à privilégier une certaine proximité et redécouvrir le pharmacien au coin de la rue. Nous le constatons, les pharmacies assises sur le médicament ont mieux résisté à cette grave crise. Tout cela reste à confirmer.
Pensez-vous que les incertitudes économiques peuvent aussi amener les Français à moins dépenser pour le superflu, ce qui aurait pour conséquence par exemple de réduire l’achat de produits de parapharmacie en officine ?
Philippe Becker.- Dans le passé, l’effet des crises économiques sur la parapharmacie a toujours été assez faible et de courte durée. Les soins corporels ont toujours une certaine dynamique. Pour illustrer le propos, en 2008, avant la précédente crise, selon nos statistiques les ventes de parapharmacie représentaient 7,82 % du CAHT des pharmacies analysées, en 2010 nous relevions un taux à 7,85 %. Bien évidemment si les vacances à la plage sont impossibles, on vendra moins de crèmes solaires. Seuls peuvent être vraiment touchés ceux qui profitaient d’une clientèle étrangère dans les villes touristiques, mais c’est un panel de pharmacie assez marginal.
Catherine Baffos.- Il faut aussi avoir à l’esprit que beaucoup de ménages ont dû faire une épargne forcée. Cet argent ressortira plus tard !
Sur un plus long terme, avez-vous le sentiment en parlant avec vos clients qu’ils vont réduire leurs investissements ?
Catherine Baffos.- Aujourd’hui contraints et forcés, ils doivent investir dans une nouvelle organisation pour accueillir de manière sûre leur clientèle tout en préservant la santé de leurs salariés. C’est un gros effort en matière d’ergonomie, de signalétique, etc. La priorité c’est cela ! La conséquence pourrait être une perte d’efficacité et de productivité que nous serons en mesure de constater en fin d’année. Il est évident que cette période anxiogène d’un point de vue sanitaire et économique incite à la prudence et ne donne pas beaucoup de place à de la réflexion stratégique en matière d’investissements à moyen et long terme. C’est dommage car les crises sont toujours le ferment de belles opportunités.
Passons au marché de la transaction : il doit être bien difficile de vendre sa pharmacie actuellement !
Philippe Becker.- Il faut mesurer le propos, il est probablement plus difficile aujourd’hui de vendre un restaurant qu’une officine. Au-delà de cette remarque, le marché aura besoin sans nul doute de retrouver son souffle. On peut s’attendre à un certain attentisme, logique dans le contexte : les acheteurs se décideront lorsqu’ils sauront comment évolue l’activité dans les prochaines semaines, mais nous n’aurons pas besoin d’attendre très longtemps pour savoir si on va vers du positif ou du négatif. Nous aurons aussi à régler le problème technique des deux mois de confinement pour la valorisation et les prévisions. Un point d’incertitude à surveiller : l’appétence des banques pour financer les officines car, au cas particulier, elles ne seront pas garanties par l’État, ainsi que l’évolution des taux d’intérêt.
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