Après l’effervescence due au Covid, une certaine euphorie a suivi dans le secteur pharmaceutique. « Les caisses étaient pleines ! », se souvient Harold Caignaert, directeur commercial et responsable des enseignes chez Giropharm. Cette période a été marquée par d'importants investissements et un intérêt croissant pour les solutions d'agencement digitales. Harold Caignaert se souvient : « Tout le monde voulait des écrans et des linéaires OTC 100 % digitaux », promesse d’un agencement moderne, débarrassé des innombrables boîtes de médicaments. Et aujourd’hui ? « Nous sommes revenus à quelque chose de plus raisonné, peut-être aussi à cause de l'augmentation des dépenses énergétiques. Car qui dit écrans dit consommation électrique. »
Nous sommes passés d’un achat plaisir pour moderniser l’officine à un achat très professionnel »
Thibaud Monteilhet, directeur commercial Europe de l'ouest chez BDRowa
Le constat est le même du côté de l’agenceur Med-design. Sa directrice commerciale, Corinne Dahoui, a observé que « la demande a baissé pour ce qui est de la signalétique digitale, des écrans diffusant des annonces commerciales et des bornes interactives ». Thibaud Monteilhet, directeur commercial Europe de l'ouest chez BDRowa, juge « anecdotique » l'argument du coût énergétique. Néanmoins, même pour ce fournisseur de robots et de solutions digitales pour pharmacies et hôpitaux, la demande dans ce type de produits a légèrement reculé, notamment en raison des contraintes budgétaires. Mais pas uniquement. Sans donner de chiffres précis, il affirme que « l'effet “waouh” » des écrans et des linéaires digitaux s’est estompé. « Nous sommes passés d’un achat plaisir pour moderniser l’officine à un achat très professionnel », nécessitant un accompagnement complet avec une forte demande de retour sur investissement. « Aujourd'hui, les pharmaciens veulent un audit complet, connaître le suivi dont ils bénéficieront, les services associés, savoir s'ils auront une hotline, un contrat de maintenance… », énumère Thibaud Monteilhet.
Une fois les outils en place, il ne suffit pas de disposer des écrans : encore faut-il savoir ce qu’on a envie d’y afficher, désigner la personne qui mettra à jour les contenus, déterminer les messages à diffuser et comment rendre ces boucles attractives. « Sans un groupement ou une société pour fournir ce contenu, il faudrait une personne à plein temps pour garantir une qualité constante des affichages sur écrans ou linéaires », note Harold Caignaert. Autant de contraintes qui, selon les acteurs du secteur, expliquent le relatif recul des solutions d’agencement high-tech.
Une tendance économique et RSE
Parallèlement, Harold Caignaert voit se dégager une autre tendance depuis environ deux ans. « De plus en plus de professionnels cherchent à repenser leur point de vente en conservant et en recyclant leur mobilier existant », poursuit-il. Une démarche motivée par des raisons économiques, mais aussi par des considérations de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Cette démarche s’observe surtout chez les jeunes pharmaciens lors de leur première installation, afin d'éviter des coûts supplémentaires ou des travaux trop importants.
Pour Giropharm, le défi consiste à trouver des partenaires capables de revitaliser des pharmacies à moindre coût, par exemple en appliquant un film adhésif sur d'anciens meubles pour leur donner un coup de jeune, ou en renouvelant la signalétique. « Quand je demande à des agenceurs traditionnels s’ils sont intéressés, aucun ne veut le faire car c’est contraignant pour eux : le mobilier n'est pas forcément le leur, ce n’est pas très valorisant et peu rémunérateur. Pourtant, la demande est réelle. » Harold Caignaert constate également cette approche plus frugale dans des espaces plus spécifiques de l’agencement officinal. Giropharm avait présenté, dès 2018, à ses adhérents des corners digitaux pour enfants, baptisés « Lili Pop ». Ces espaces, adaptés en fonction de la place disponible, se présente tantôt comme une tablette de 16 pouces à accrocher au mur ou une table digitale, où plusieurs enfants peuvent jouer en même temps. « Aujourd’hui, nous sommes challengés sur un retour des jeux en bois dans les espaces enfants par exemple. D’autant que certains parents ne souhaitent pas exposer leurs enfants aux écrans. »
Ces tendances signent-elles la fin des solutions d’agencement digitales ? Non, selon Thibaud Monteilhet. « Les écrans ont été installés pour plusieurs raisons. Les linéaires digitaux, par exemple, permettaient de maintenir les étagères rangées et propres, tout en offrant la possibilité de sélectionner un produit d’un simple clic. Progressivement, les pharmaciens ont davantage utilisé les écrans pour la communication que pour la délivrance de médicaments. » Aujourd'hui, ils sont principalement utilisés à des fins de communication, d’information ou de conseil. « Les acteurs du marché ont dû s’adapter à cette spécialisation en proposant des solutions ciblées, pour chaque tâche », développe Thibaud Monteilhet.
Les robots pour améliorer le processus de délivrance
Si l’intérêt pour le high-tech dans l’officine semble se tasser côté consommateur, il en va autrement derrière le comptoir, et les nouvelles prérogatives du pharmacien ne sont pas étrangères à cet engouement. Cécilia Machado, responsable Pôle conseil & services chez CERP (Coopérative d’exploitation et de répartition pharmaceutique), explique : « Nous observons une évolution du métier de plus en plus au cœur du parcours de soins, ce qui entraîne des changements au sein de l’officine. Il a fallu dédier des espaces et du temps à ces nouvelles missions. » C’est là que la robotique intervient.
Thibaud Monteilhet assure que, sur ce segment, la demande est restée forte même après le Covid et « devrait croître de 5 à 10 % sur le marché dans les années à venir ». Chez Giropharm, un projet d’agencement sur deux inclut un robot de stockage et de délivrance des médicaments. Pourquoi un tel intérêt pour ces machines ? De fait, il a fallu rogner des mètres carrés pour créer des espaces dédiés aux nouvelles missions. « Sur quoi prend-on cette surface ? La surface de vente, c’est le plus important, car c’est ce qui nous permet d’exposer des produits, de les vendre et donc de gagner de l’argent. On va donc plutôt le prendre sur le back-office, c’est pourquoi, celui-ci doit être le plus rationnel et le plus efficace possible », développe Harold Caignaert. Bien que l’investissement initial pour l’installation d’un robot soit élevé – on parle de centaines de milliers d’euros –, son intérêt réside dans la capacité à délivrer rapidement et à ranger plusieurs centaines de boîtes par heure, tout en scannant les dates de péremption. Cela optimise l’espace en rationalisant la gestion des flux de médicaments.
Privilégier la sensorialité
D’autres solutions commencent à émerger, comme les bornes de paiement ou de Click & Collect, qui permettent, en théorie, de rationaliser l’agencement en fluidifiant le parcours client et en limitant les files d’attente, tout en libérant du temps pour les pharmaciens. Si des tendances se dégagent, in fine, le choix d’agencer sa pharmacie avec des solutions low-tech ou high-tech, dépendra de la stratégie de l’officine, de la place disponible et de l’ergonomie, de son positionnement et de ses moyens. Quoi qu’il en soit, Delphine Gillet, Prospective & Catman retail - Business unit Dermo Cosmetic & Personal Care chez Pierre Fabre Group, invite à ne pas tomber dans l’excès. L’officine devient de plus en plus « un relais de proximité », a fortiori dans les déserts médicaux et avec les nouvelles missions du pharmacien – encore elles ! « C’est un lieu qui doit être rassurant et, dans ce contexte, le tout high-tech n’a pas de sens. Il faut trouver l’équilibre juste et d’abord privilégier l’humain et la sensorialité. »
PHARMA-RECHARGE
À mi-chemin entre high-tech et démarche RSE, l’initiative du consortium Pharma-Recharge vise à déployer le concept du vrac en officine. Expérimenté dans plusieurs pharmacies en Île-de-France, Grand-Est et Occitanie, le dispositif se présente sous la forme d’un meuble commun de recharge à commande digitale, permettant de remplir des flacons de 500 ml pour une quinzaine de références cosmétiques de marques, telles que Mustela, Garancia, La Rosée Cosmétiques, Bioderma, A-Derma, Ducray, Eluday et Klorane.
Ce mobilier permet de rassembler plusieurs références dans un seul meuble compact, de réduire l’impact écologique en limitant les contenants et de libérer de l’espace en rayon pour d’autres références, à condition que les références soient disponibles uniquement via Pharma-Recharge.
Delphine Gillet, Prospective & Catman retail - Business unit Dermo Cosmetic & Personal Care chez Pierre Fabre Group, reconnaît toutefois que l’intégration de ces machines dans l’espace constitue un défi important. « Actuellement, sur les six points de vente pilotes qui testent la formule high-tech (équipés d’un distributeur automatique et d’un écran), l’ergonomie est imposante, avec un volume important en hauteur, largeur et profondeur. » Trouver une place visible, dans le flux du comptoir, sans empiéter sur les linéaires commerciaux reste donc complexe. L’approche low-tech pourrait être plus intéressante du point de vue de l’ergonomie, car plus dépouillée, elle ne nécessite pas d’électronique pour le module de commande qui, lui, serait manuel.
V. M.
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