« Nous assistons à une hausse significative des frais de cession, même si on retraite les activités Covid », déclarait il y a un an, lors de la 23e édition de la Journée de l'économie de l'officine, Joël Lecoeur, expert-comptable. Cette année encore, le président du réseau CGP, à l'origine de ces statistiques, fait le même constat. Mais alors que les fonds étaient estimés à 7,10 fois l'EBE en 2021, ils le sont désormais à 7,45 un an plus tard. Quant au ratio prix de vente sur chiffre d'affaires, il passe de 85 à 88 % en 2022. Ce dernier indicateur a pourtant fait, comme les deux autres années précédentes, l'objet d'un retraitement de la part des experts-comptables.
Résultat, le prix de cession moyen tutoie désormais les deux millions d'euros (1,910 million d'euros précisément). Une mauvaise nouvelle pour le réseau officinal à plus d'un titre. Les jeunes diplômés, candidats à l'achat d'une officine, ou les adjoints rêvant de s'installer, ont des jours difficiles devant eux. Ceci d'autant plus que la hausse des taux d'intérêt compromet la capacité de faire face à l'emprunt. « En passant de 1 à 4 %, le taux d'intérêt grève la capacité de remboursement de 16 points », analyse Joël Lecoeur. Selon ses calculs, il faudrait alors multiplier par deux l'apport personnel qui équivaut en moyenne aujourd'hui à 15 % du prix.
Cette fuite en avant a tout lieu d'inquiéter. Car une hausse de 20,35 % du prix moyen de vente en un an est tout simplement inflationniste. Certes, les tarifs pratiqués en 2021 étaient en léger retrait par rapport à l'année précédente. Il n'empêche, le montant des cessions de 2022 est supérieur de 18 % à celui de l'année 2020. Dans ce contexte, les experts-comptables ne cachent pas leurs craintes de voir le maillage officinal s'effriter. Car la désaffection pour les petites officines, déjà relevée les années précédentes, se confirme. « L'évolution des prix de cession est plus que jamais liée à la taille de l'officine. Et le marché favorise clairement les plus grosses structures », constate le président du réseau CGP.
Le contre-exemple vétérinaire
À moins que les vendeurs reviennent à la raison et acceptent de baisser les prix afin de relancer un marché des transactions devenu atone, les perspectives s'assombrissent pour les candidats à la reprise. Sans compter que les observateurs détectent une financiarisation croissante du marché. « Nous constatons la multiplication de montages qui amènent aujourd'hui des financiers aux tours de table d'officines », note Joël Lecoeur. Il estime que les quatre arrêts du Conseil d'État de cet été pourraient refroidir les ardeurs des investisseurs extérieurs à la pharmacie. Par quatre décisions du 10 juillet, le Conseil d'État a en effet rejeté les requêtes de quatre sociétés vétérinaires – cliniques ou centres - contre les radiations prononcées par le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires dont elles avaient fait l'objet. Le Conseil d'État considère que l'Ordre peut refuser d'inscrire au tableau une société si ses statuts ne sont pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires, notamment si les conditions d'exercice portent atteinte à l'indépendance professionnelle.
Un marché à deux vitesses
De quoi freiner l'appétit des financiers qui lorgnent le réseau officinal. Il est nécessaire que la profession « prenne le problème en main car on voit que les prix continuent à monter, ce qui n'est pas le reflet de l'économie de 2023, ni celle de l'année prochaine », met en garde Joël Lecoeur. Pour Philippe Becker, les conséquences peuvent être irréversibles pour le réseau officinal. Il entrevoit un marché à deux vitesses. D'un côté, des petites officines qui disparaissent et ne peuvent plus répondre aux besoins de santé publique de la population. De l'autre côté, des officines plus importantes, dont les prix trop élevés vont dissuader les jeunes diplômés. « La nature ayant horreur du vide, nous allons voir arriver un certain nombre d'investisseurs non professionnels qui vont s'intéresser au métier », redoute l'expert-comptable.
La profession avait, jusqu'à présent, échappé à cette financiarisation qui a gagné les laboratoires d'analyses médicales, les EHPAD ou encore les crèches. Une tendance dont les pouvoirs publics saisissent toute la dimension d'un certain nombre de dérives. Selon Joël Lecoeur, le gouvernement aurait tout lieu de s'en inquiéter. Car, rappelle-t-il, « ce sont in fine les fonds publics qui financent ces structures ».
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