Depuis le 16 mars 2018, les pharmaciens peuvent réaliser des bilans partagés de médication (BPM). Mais « seulement 15 000 bilans ont été menés depuis le début de l’année, alors que l’accord conventionnel en prévoyait 400 000 ! » se désolait Nicolas Revel, directeur général de l’assurance-maladie, lors du dernier Congrès national des pharmaciens.
Pourtant, les BPM ne présentent pas de difficulté majeure pour les pharmaciens, déjà aguerris aux analyses d’ordonnance au comptoir. « Il s’agit seulement de formaliser un peu plus les choses », relate Sabine Garro, adjointe à Paris, qui réalise des BPM depuis mai 2018. Pour pourvoir se lancer sereinement dans cette mission, « il est indispensable de s’y préparer en amont », analyse Marine Thierry Duriot, adjointe en Seine-et-Marne et formatrice, qui est intervenue lors de la Journée des pharmaciens adjoints* (Paris, le 5 novembre).
Déjà, la formation est fortement recommandée : « elle permet aux officinaux de se réassurer sur leur aptitude à réaliser ces bilans », avance Eric Ruspini, titulaire à Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle). Ensuite, « il faudra avoir réfléchi à la façon d’organiser les bilans au sein de l’officine », évoque Marine Thierry Duriot. Notamment, y a-t-il un espace de confidentialité ? Si non, peut-on en aménager un ? Car sans ce dernier, impossible de mener à bien cet entretien, qui ne peut être accompli au comptoir. Par ailleurs, le BPM doit inclure toute l’équipe officinale, même s’ils ne sont réalisés que par les pharmaciens. « Les préparateurs peuvent identifier les patients éligibles, proposer les bilans, ou encore fixer un rendez-vous », précise Eric Ruspini. Autre préparatif : définir des créneaux horaires spécifiquement dédiés aux bilans de médication, « en bloquant une heure ou deux sur la semaine, à une période plutôt creuse », conseille Sabine Garro. Enfin, il est judicieux de prévenir les médecins des alentours de la réalisation prochaine de BPM à l’officine.
Cibler les patients
Une fois la logistique installée, place au ciblage et au recrutement des patients. Sur le papier, tout paraît simple : le BPM concerne les personnes âgées de 65 ans à 74 ans avec une ALD ou âgé de 75 ans ou plus. Avec un traitement d’au moins 5 principes actifs prescrits, pour une durée consécutive supérieure ou égale à 6 mois. « Attention, précise Marine Thierry Duriot, on parle bien de plus de 5 principes actifs, et non pas de 5 médicaments. Ainsi, une prescription de CoAprovel compte pour 2 principes actifs. »
Les patients éligibles sont loin d’être rares à l’officine : en moyenne, on en dénombre entre 100 et 120 par pharmacie. Mais en pratique, comment faire le tri ? Dans ce domaine, les éditeurs de logiciels ne sont pas d’une grande aide. « Le nôtre a fourni une liste de patients éligibles, mais elle était d’une longueur phénoménale et indéchiffrable, sans distinction avec les personnes décédées ou non, illustre Sabine Garro. Nous avons donc jeté l’éponge et effectué nous-même le ciblage. » Au final, rien de bien compliqué : « il ne s’agit de recruter que 20 patients. Ce qui n’est pas difficile sachant que les pharmaciens connaissent bien leur patientèle âgée », rappelle Eric Ruspini. Autrement, on peut faire un tri par molécule. En recherchant dans le logiciel tous les patients qui prennent de l’amiodarone, de la digoxine, ou de la trinitrine, etc.
Convaincre
Une fois les patients éligibles identifiés, il faut encore les convaincre. C’est avec des questions simples que l’on pourra les recruter, telles que « Comment cela se passe-t-il avec votre traitement ? Souhaitez-vous qu’on en discute ensemble, en prenant un peu plus de temps, pour faire un petit bilan de vos médicaments ? C’est pris en charge, vous ne paierez rien ». Cependant, si le patient refuse, il est inutile d’insister. On lui laissera un support d’information afin qu’il puisse y réfléchir plus tard.
Dernier frein pour les titulaires, la rémunération. Sous forme de ROSP, elle est donc perçue tardivement. De plus, elle apparaît parfois peu attractive : 60 euros la première année, puis 20 ou 30 euros les années suivantes (selon que le traitement a changé ou pas). « Mais avant de revoir les tarifs, il faut tout d’abord se lancer dans les bilans et prouver notre valeur ajoutée, martèle Eric Ruspini. Nous devons nous approprier cette mission qui est indispensable pour les personnes âgées. Si les pharmaciens ne saisissent pas cette opportunité, d’autres professionnels le feront à leur place. »
De plus, le jeu en vaut la chandelle : les pharmaciens comme les patients ont tout à y gagner. « Au final, les patients sont ravis de ce bilan, ils nous considèrent même parfois comme leur sauveur », souligne Sabine Garro en songeant à la reconnaissance d’une dame pour qui elle n’a conseillé qu’un simple plan de prise ! Une patientèle encore plus satisfaite du pharmacien, des hospitalisations moindres, une meilleure observance, des erreurs médicamenteuses évitées : des petits plus, qui changent tout.
*Journée organisée par la section D de l’Ordre national des pharmaciens, l’URPS pharmaciens Ile-de-France, avec le soutien institutionnel de Novartis et Sanofi.
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