Après lecture de votre article concernant l'étude de la Fondation Concorde intitulée « Pharmacie d'officine : quelles évolutions pour répondre aux défis de demain »*, on ne peut que saluer l'ampleur de la réflexion et la pertinence des orientations proposées. D'autant qu'on ne tourne pas autour du pot : « Ils [les pharmaciens] doivent prendre conscience qu'une mobilisation réelle doit se faire, pour que les changements soient possibles ». L'ensemble de ce texte diffère grandement des solutions simplistes bien souvent avancées pour colmater quelques brèches et faire miroiter une augmentation facile du chiffre d'affaires.
Quelques interrogations parcourent ce texte, parmi lesquelles : comment déterminer le prix de ces nouveaux services ? Et qui va payer ? Questions qui s'accompagnent d'une remarque impossible à occulter : « Si l'État ne prend pas en charge, il sera nécessaire… d'habituer les pharmaciens eux-mêmes à les faire payer, ce qui n'est à l'heure actuelle pas dans leur culture. »
Il semble important de s'arrêter sur ce comportement : qu'est-ce qui fait que les pharmaciens ont acquis cette culture ? Sont-ils aussi « coincés » qu'ils le paraissent ? Rappelons que leur rémunération dépend par principe de la vente du médicament, fabriqué historiquement dans leur préparatoire et depuis maintenant longtemps conditionné industriellement, avec un prix de vente imposé par l'État. Des produits les plus divers quant à leur efficacité, voire même quant à leur intérêt en officine, sont venus par la suite compléter leurs offres, procurant un complément de chiffre d'affaires, actuellement indispensable pour assurer un relatif équilibre économique. Ainsi on peut penser que cette réticence à faire payer autre chose que du médicament ou du parapharmaceutique s'inscrit dans une culture du conseil et de l'oral. Alors que le conseil délivré oralement vient accompagner chaque dispensation, le concept de service reste quelque peu étranger au monde officinal. À l'exemple des entretiens pharmaceutiques, qui sont censés impulser une nouvelle dynamique, le service renvoie aux idées d'utilité en termes de santé publique et de source d'économie pour les finances publiques, grâce à une validation par des études scientifiques ; pratiqué dans un cadre de « bonnes pratiques », avec obligation de trace écrite et grâce à une expertise strictement pharmaceutique, son paiement valorise ce type d'acte. Mais on connaît les oppositions du corps médical à accorder quelques prérogatives à notre profession. Alors n'est-il pas probable que celle-ci ne se lancera dans de nouvelles activités qu'à partir du moment où des accords interprofessionnels nationaux auront été signés, définissant précisément les actes confiés et les parts de responsabilité de chacun, avec la mise en place de formations validantes.
Aussi cette difficulté à demander une rétribution est-elle à mettre en relation avec une relative prudence et une certaine honnêteté intellectuelle de la part des pharmaciens, chacun considérant d'abord les bénéfices en matière de santé publique des services, mais cherchant par ailleurs à préserver des relations les plus « cordiales » avec les prescripteurs les plus proches. Le succès mitigé de la mise en place de TROD (tests rapides d'orientation diagnostic) peut s'expliquer ainsi. La recherche de respect vis-à-vis des différents protagonistes permet aussi de préserver une certaine identité de professionnels de santé, à la différence de « prestataires de services » cherchant à « ponctionner » à leur manière leurs clients. Par exemple serait-il juste de concevoir un paiement lors d'une prise de tension ou d'une recherche de glycémie capillaire occasionnelles, ces actes relevant plus du complément d'information ou d'une aide au diagnostic en cas de malaise.
Tout acte posé dans une officine doit-il avoir une valeur marchande ? Il semble que si notre profession reste encore largement appréciée par le public, c'est que son exercice préserve une certaine part de gratuité. Cette part de non-monnayable est inestimable car témoigne du souci d'autrui. À nous de relever le défi de conjuguer nouvelles compétences, nouveaux services et nouvelles rémunérations avec capacité d'accueil de l'humain afin de rester des « sachants humanistes ».
*http://www.fondationconcorde.com/publications-fiche.php?id=155
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