Les entretiens pharmaceutiques anticancéreux oraux ont officiellement été lancés le 30 septembre 2020, avec la parution de l’avenant 21 de la convention pharmaceutique au « Journal officiel ». Mais à peine mis en place, ils ont été balayés par la crise du Covid.
Déjà, « avec le premier confinement en mars 2020, suivi d’autres, les gens ne sortaient plus de chez eux. Difficile alors de proposer ces entretiens étant donné qu’il faut un minimum de discussion pour les instaurer », évoque Pierre-Olivier Variot, président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Ensuite, les pharmaciens ont été fortement mobilisés par la crise : « La distribution de masques et de gel hydroalcoolique, puis la vaccination, le dépistage du Covid… les missions liées à l’épidémie, toujours plus nombreuses, se sont succédé. Alors, les actions de suivi de traitement, comme les entretiens pharmaceutiques, sont passées au second plan », regrette Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). À titre d'exemple, Pierre-Olivier Variot, qui avait réalisé plus de 800 bilans partagés de médication (BPM) en 2018-2019, n’en a fait qu’une vingtaine en 2020, et seulement 7 ou 8 en 2021.
Pour autant, il n’est pas question pour les syndicats de délaisser indéfiniment ces missions. Une fois la crise sanitaire passée, ils reprendront leurs efforts pour les déployer. Et plus spécifiquement, pour « lancer ces entretiens cancer qui n’ont pas eu le temps de voir le jour », ajoute Philippe Besset.
Tout est prêt pour y aller
D’autant plus que tout est prêt pour qu’ils soient réalisés. Tout a été défini. Leur cible, qui comprend les adultes traités par des anticancéreux oraux (classes ATC L01 et L02). Leur déroulement, avec la première année trois entretiens : un entretien initial pour évaluer les connaissances du patient sur son traitement et l’informer sur les modalités d’administration ; puis deux entretiens thématiques (« difficultés rencontrées dans la vie quotidienne en lien avec le traitement » et « observance »). Les années suivantes seront l'occasion de deux entretiens thématiques consacrés respectivement à la vie quotidienne, aux effets indésirables et à l’évaluation de l’observance.
La rémunération a également été fixée. Elle varie selon le type de médicament. Pour les traitements au long cours (hormonothérapie, méthotrexate, hydroxycarbamide et bicalutamide), elle s’élève à 60 euros la 1re année, puis à 20 euros les années suivantes. Pour les autres anticancéreux per os (figurant toujours dans les classes ATC L01 et L02), la première année est facturée 80 euros, 30 euros les années suivantes. Cette rémunération est majorée pour les pharmacies des départements d’outre-mer. Elle est aussi prévue en cas de changement de traitement et maintenue en cas de décès.
Des outils adaptés
Pour mener les entretiens à bien, le pharmacien peut s’appuyer sur diverses ressources. En premier lieu, le guide d’accompagnement et la fiche de suivi patient traité par anticancéreux oraux, qui sont disponibles en annexe de l’avenant 21, ainsi que sur le site de l’assurance-maladie. Ensuite, d’autres supports comme l'« Oncoguide » (du groupe Pierre Fabre), ou les fiches Oncolien (de la Société française de pharmacie oncologique) sont d’un grand secours : « Ces fiches détaillent chaque anticancéreux oral, il en existe une centaine », évoque Alexandra Gaertner, titulaire à Boofzheim (Bas-Rhin), qui a suivi un DU de cancérologie à la faculté de Strasbourg.
Enfin, s'il est conseillé de suivre une formation, celle-ci n’est pas obligatoire. « Elle est néanmoins fort utile pour mettre à jour ses connaissances dans un domaine où il y a régulièrement de nouvelles molécules », explique Alexandra Gaertner. « Elle permet aussi d’adopter la bonne attitude et d’être à l’aise pour mener ce colloque singulier avec le patient, une situation dont avait peu l’habitude l’officinal », poursuit-elle.
Encore peu d'engagement
Aujourd’hui, une question se pose : les entretiens cancer, comme les autres entretiens pharmaceutiques, doivent-ils être modifiés, ou conviennent-ils en l’état à la profession ? On constate en effet que peu d’officinaux se sont lancés dans ces nouvelles missions. Seulement 4 005 officines ont facturé au moins un code acte pour un accompagnement pharmaceutique (AOD, AVK, asthme ou BPM) de juillet 2020 à février 2021. Au total, ce sont moins de 95 000 codes actes qui ont été remboursés par l’assurance-maladie sur cette période. À l’origine de ce désamour avec la profession : des problèmes de rémunération différée de 18 mois pour les premiers entretiens, des difficultés à inclure des patients, les critères d’éligibilité aux entretiens étant trop complexes (pour les entretiens asthme). Pour les entretiens cancer, s’ajoutent donc ce lancement avorté par la crise sanitaire, ainsi que des difficultés à recruter des patients sous anticancéreux oraux, qui ne sont pas si nombreux dans la clientèle d’une officine. « De plus, tous ne sont pas intéressés, notamment les personnes qui sont sous traitement depuis longtemps et qui en connaissent désormais bien les effets secondaires et les modalités de prise », souligne Alexandra Gaertner.
Plus pratiques et plus simples
Face à ces difficultés, « l’assurance-maladie souhaite, dans le cadre de la convention pharmaceutique en cours de négociation, revoir tous les entretiens afin de les rendre plus pratiques et plus simples à réaliser », dévoile Pierre-Olivier Variot en ajoutant que « les entretiens cancer ne feront pas exception, même s’ils ne seront pas les premiers à être révisés ».
Pour Philippe Besset, au-delà de la nécessité de simplifier ces entretiens, il faut les intégrer dans la pratique quotidienne au travers des logiciels métier. « En pratique, à la lecture de la carte Vitale d’un patient, le pharmacien devrait voir le dossier patient qui indique ses pathologies, ses médicaments, et précise s’il est éligible à un entretien pharmaceutique et lequel, suggère-t-il. C’est cela le logiciel de demain, tel qu’il est en cours de discussion dans le cadre du Ségur du numérique. » Il y a une volonté de faire bouger les choses et des moyens : plus d’1,3 milliard d’euros ont été mis sur la table pour la refonte informatique, dont 60 millions d’euros pour les logiciels pharmaceutiques.
Selon Alexandra Gaertner, la possibilité de consulter le dossier médical du patient est primordiale dans le cadre des entretiens cancer. « Lorsqu’on délivre une ordonnance avec des anticancéreux oraux, sans pouvoir consulter le dossier médical comme c’est le cas aujourd’hui, on ignore le degré de connaissance d’un patient sur sa pathologie. Sait-il qu’il a un cancer et si oui, quand l’annonce du diagnostic a-t-elle été faite ? Le patient est-il en rémission, en phase terminale ? Il est dommage que nous ne connaissions pas ces éléments, qui nous permettraient de savoir à quel patient, ou à quel moment de la prise en charge, il est plus adapté de proposer un entretien cancer », regrette-t-elle. En espérant qu’à l’avenir, un vrai dossier médical, partagé entre professionnels de santé, voit le jour.
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