Les services payants ont-ils de l’avenir en officine ? Telle est la question que se pose aujourd’hui la profession, confrontée à une baisse de marge, encore trop liée au prix du médicament et en quête d’un nouveau modèle économique.
Depuis plusieurs années déjà, certaines pharmacies proposent des services qu’elles font - parfois - payer aux patients. Par exemple, la préparation des doses à administrer (PDA), qui est en général réalisée pour des structures de soins, mais qui peut aussi directement s’adresser aux patients de l’officine. Cette dernière activité est encore balbutiante : elle ne concerne qu’1 % des patients, tandis que les 99 % restants bénéficient de la PDA via un EHPAD ou autre structure (selon une enquête de Pharma Système Qualité menée en janvier 2018 auprès de 50 pharmacies réalisant de la PDA). Trois-quarts des pharmaciens ne se font pas rémunérer ce service pour les patients fréquentant l’officine. Néanmoins, un quart d’entre eux déclare avoir mis en place un honoraire spécifique à la réalisation de la PDA. En général, « le tarif est alors fixé entre 2 et 7 euros par semaine par patient. Certains ont ajouté à ce forfait le prix des livraisons », a relevé l’enquête de Pharma Système Qualité.
Exemples à l'appui
D’autres services payants existent, parfois mis en place avec l'aide d'un groupement. Certaines officines Giphar proposent notamment la réalisation de TROD angine au prix de 6 euros le test. Ainsi Maud Mingeau, co-titulaire à Pouilly-sur-Loire (Nièvre) et présidente de la commission santé chez Giphar, propose durant l'hiver des TROD angine à ce tarif. Mais ce n'est pas tout : son officine propose aussi des consultations de sevrage tabagique (15 euros la consultation, à raison de 6 ou 7 entretiens sur l'année), des consultations micronutrition (46 euros la première et 23 euros les suivantes), ainsi qu'un dépistage du diabète (gratuit durant le mois de novembre, et 5 euros les autres mois de l'année). « Tous ces services payants sont bien acceptés par les patients, qui en comprennent l'intérêt », déclare la titulaire. L’URPS Ile-de-France propose également aux pharmaciens de réaliser des TROD angine, en conseillant de facturer 10 euros chaque test, afin de « ne pas dévaloriser l’acte du pharmacien ».
De son côté, le groupement Pharmacorp a lancé un service de coaching des patients diabétiques ciblé sur la nutrition et la maîtrise de la glycémie, moyennant 49 euros par mois, à raison d’un entretien par semaine avec le pharmacien. Ce service, payant, est déjà pris en charge par une assurance maladie complémentaire, Prévifrance.
Encore plus original, le groupement Pharmabest propose un service de dépistage du mélanome réalisé en pharmacie, grâce à un petit appareil qui scanne les grains de beauté suspects et qui en envoie les clichés à un dermatologue référent. Ce service est facturé au patient 28 euros le grain de beauté ou la tache, et 14 euros pour chaque grain de beauté supplémentaire. Mais le pharmacien n’est pas rétribué pour cette prestation : « la somme est intégralement destinée à la rémunération du dermatologue qui analyse les clichés », précise Pharmabest.
Enfin, la dispensation à domicile est un service largement proposé en pharmacie… Mais rarement payant ! Si elle doit être réservée aux patients qui sont dans l’impossibilité de se déplacer (en raison de leur état de santé, de leur âge, etc.), la dispensation à domicile ne devrait pas pour autant être gratuite. « Nous sommes la seule profession qui ne facture pas d’indemnités kilométriques ! », relève Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO).
La gratuité des services reste donc trop souvent une habitude en pharmacie. Mais il est indispensable de changer de paradigme. « Proposer des services demande du temps, une formation, un savoir. Pour ces raisons, ils doivent être rémunérés, martèle Maud Mingeau. D'autant plus que, pour le patient, si un service gratuit, il n'a pas de valeur ! » Enfin, proposer un service payant exige de l'assortir à une qualité irréprochable. « On ne peut pas proposer un service payant fait rapidement ou sur un coin du comptoir. Il faudra prendre du temps avec le patient, dans un espace de confidentialité, lui donner des conseils de prévention, lui remettre des bilans et les questionnaires réalisés », explique Maud Mingeau. La démarche qualité est toute autre que pour un conseil délivré gratuitement, auquel le pharmacien ne donnera pas forcément autant d'importance.
Le décret qui changera tout ?
Les services rémunérés en officine sont amenés à se développer. Notamment car ils sont maintenant totalement autorisés par la loi, depuis la publication du « décret relatif aux conseils et prestations » au « Journal officiel » du 5 octobre 2018. Ce décret était attendu depuis neuf ans par la profession ! En effet, les conseils et prestations étaient déjà inscrits dans la loi HPST de juillet 2009 (8e alinéa de l’article 38), mais un « décret en Conseil d’État devait venir en fixer les conditions d’application », indiquait le texte. Sans ce cadre, se lancer dans les services rémunérés pouvait donc présenter un risque, auquel la plupart des officinaux ne souhaitaient pas se frotter. Au final, il aura fallu 9 ans pour que ce vide législatif soit comblé.
L’arrivée de ce texte présente plusieurs avantages. D’une part, « il ouvre la porte à la tarification des services pour le régime obligatoire, ou encore pour les assurances de santé dans le cadre d’un contrat de perte autonomie », analyse Gilles Bonnefond. Ensuite, la publication du décret rend la contestation des services en pharmacie difficile : « on pourra développer des TROD cholestérol, cancer colorectal, ou autre, sans être attaqués par les biologistes, comme cela a été le cas dans le passé pour les TROD angine, grippe et diabète », poursuit le président de l'USPO.
Toutefois, le décret manque de précision. Il ne liste pas les services que l’on a de droit de réaliser en pharmacie, mais seulement des champs d’action. Il stipule que le pharmacien peut mettre en place des actions de « suivi et d’accompagnement pharmaceutique », de « prévention et de promotion de la santé », qu’il peut participer à la « coordination des soins » et au « dépistage des maladies infectieuses et des maladies non transmissibles ». Dans le domaine du dépistage, tout est clair : il est désormais possible de faire toutes sortes de dépistages en pharmacie, et non pas uniquement des TROD grippe, angine et glycémie comme auparavant. Mais en ce qui concerne la PDA et la dispensation à domicile, on ne sait guère dans quel champ du décret les placer.
Si ce texte reste vague, il a l’avantage de laisser la place à l’interprétation. « À nous d’être imaginatifs pour proposer de nouveaux services aux patients », a ainsi déclaré Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Des patients prêts à payer
Mais pour que les services remportent du succès, enore faut-il que les patients soient prêts à les payer. Chose dont les pharmaciens doutent encore. En effet, 39 % d’entre eux estiment que les patients seraient prêts à payer de leur poche seulement certaines prestations, et 47 % pensent qu’ils ne voudront en payer aucune (selon l’enquête « Les Échos études et Direct Medica » réalisée en juillet 2018 auprès de 300 titulaires).
Cependant, contrairement à toute attente, la réponse est différente du côté des patients. En effet, plusieurs études montrent qu’ils seraient plutôt enclins à payer pour des services, à la condition que ces derniers leur soient utiles.
Ainsi, parmi les 70 % de Français qui seraient intéressés par des dépistages en pharmacie (cholestérol, carence en fer, diabète, maladie de Lyme), 56 % seraient prêts à payer pour ce service à hauteur de 15 euros (selon une étude Satispharma et Opinionway menée en février-mars 2018 auprès de 1 001 personnes fréquentant des officines). Dans son édition précédente, cette même étude montrait qu’un quart des patients chroniques seraient prêts à payer entre 5 et 10 euros pour une PDA (étude menée auprès de 4 043 patients en janvier-février 2017).
Une autre étude menée par IFOP pour le groupement Giropharm (février 2017, 1 040 personnes) indique qu’environ que 70 % des Français seraient intéressés par des check-up de santé de 30 minutes avec le pharmacien (pour les « maux du quotidien », la « vaccination », les « petits bobos »), dont 45 % seraient prêts à payer pour ces services.
Moins récente, mais tout aussi intéressante, une étude de 2016 menée par Pharma Système Qualité auprès de 50 000 personnes sur les services en pharmacie : 53,6 % d'entre elles ont déclaré être intéressés par des tests de dépistage (angine, grippe, diabète), 43 % par des rendez-vous personnalisés (nutrition, poids, tabac) et 38,5 % par une livraison. En revanche, ils sont moins nombreux à être intéressés par la PDA (30,3 %). Par ailleurs, selon le service proposé, ils sont entre 13 et 24 % à être prêts à payer, avec une proportion bien plus élevée chez les moins de 35 ans (entre 34 et 61 % sont prêts à payer). Mais attention : les plus jeunes sont aussi les plus exigeants par rapport à la qualité de la prestation, son contenu et son prix. La pharmacie a donc tout intérêt à s’investir dans les services, mais en s’assurant de leur grande qualité.
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