« Notre réseau d'addictologie a plutôt adopté une dynamique de parcours de soins, où, bien sûr, le pharmacien de ville a toute sa place », énonce Stéphan Jean, directeur de la Maison des addictions du Pays d'Auge, à Lisieux (Calvados). Et, de fait, plusieurs pharmacies de Lisieux (pharmacies de la Gare, du Lycée, Centrale, Mozart…), mais aussi d'autres communes, participent au travail de ce réseau.
Celui-ci a été créé en 1987, à l'origine pour aider des toxicomanes sortant de prison. Aujourd'hui, son action s'est ouverte à l'alcool, au tabac, au cannabis, à Internet et aux jeux vidéo, aux troubles alimentaires, en fait à tout ce qui crée une dépendance. Il entend « lutter par la prévention et le soin contre toutes les formes de conduites à risque chez les adolescents et les jeunes adultes ».
Emmanuelle Falet, pharmacienne à Lisieux (pharmacie Victor Hugo), est devenue la référente du réseau. « Les pharmaciens ont un rôle éminent dans la prévention, assure-t-elle, mais ils n'étaient pas assez consultés, alors qu'ils devraient être au centre de ce processus. » Elle s'interroge sur ces jeunes « qui boivent de l'alcool le plus vite possible, consomment l'interdit pour faire comme les autres, par souci de montrer qu'ils existent dans un monde de plus en plus individualiste ».
Un réseau pluridisciplinaire
La Maison des addictions, en plein cœur de Lisieux, rassemble une équipe pluridisciplinaire, formée aux addictions : médecins, éducateurs, psychiatre, infirmières, diététicienne, psychologues. Les pharmaciens de ville participent à leurs réunions. « Notre territoire connaît un taux de chômage important, c'est aussi le pays du cidre, avec une culture de la consommation d'alcool. De fait, les jeunes dépendants sont plus nombreux qu'ailleurs, précise Stéphan Jean, et la plupart des patients de la maison sont des hommes, et jeunes parce que nous avons fait le choix d'accueillir des mineurs. »
Le réseau fonctionne sous régime associatif incluant les collectivités locales et les autorités de santé ; il a fait le choix de ne pas avoir de pharmacie interne et de recourir aux officines de ville. « Nous leur confions la mise sous traitement, indique le directeur, et leur demandons de nous faire un retour. S'ils nous font part, par exemple, de leur inquiétude vis-à-vis d'un médicament, nous faisons remonter l'information au CHU. Il s'est créé une fonction de veille sanitaire, dans lequel le pharmacien tient tout son rôle. »
« Le travail pluridisciplinaire est une vraie chance pour le pharmacien, observe Emmanuelle Falet, parce qu'il voit le patient le plus souvent et que les officines sont réparties sur le territoire. Nous ne faisons pas que délivrer des médicaments, on parle de nos cas avec le réseau, on sert de repère, les parents des patients nous parlent. »
Mettre en confiance
Sur le plan concret, la mise sous traitement, le plus souvent de la méthadone, commence par un fax que reçoit la pharmacie, qui l'avertit d'un nouveau venu. « Il faut mettre ce patient en confiance, il est déjà beaucoup stigmatisé, ne pas lui cacher que c'est difficile. Nous avons une trentaine de patients à l'officine, de 18 à 40 ans, certains prennent quatre à cinq doses par semaine. Nous avons travaillé avec le personnel à l'accueil des patients, pour ne pas les juger, comprendre qu'ils prennent un traitement, dans une pièce confidentielle si nécessaire. C'est un travail vraiment passionnant », témoigne Emmanuelle Falet.
La consœur observe que les patients se sentent assez vite bien, alors pourtant que les mineurs arrivent de plus en plus jeunes. Mais elle croit que l'existence du réseau fait baisser l'agressivité en ville. « On ne peut peut-être pas les guérir, estime-t-elle, mais au moins on peut diminuer le risque et stabiliser le patient. » Elle suit beaucoup de dépistages et affirme que le centre d'addictologie de Lisieux « est vraiment une chance. Il existe un problème de santé publique majeur, qui risque de durer, et dont il faut parler ».
« Il y a des guérisons, complète Stéphan Jean. Une personne qui reste dépendante est comme un malade chronique : il lui faut un substitut. Mais des patients sortent de leur dépendance. »
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