Plusieurs entretiens pharmaceutiques ont été introduits dans les missions du pharmacien, à commencer par les entretiens AVK en 2013, puis les entretiens asthme fin 2014, et les entretiens anticoagulants oraux directs (AOD) en 2016.
Au début, cette nouvelle mission a rencontré du succès, notamment les entretiens AVK. Dans un bilan à un an de l’assurance-maladie, les pharmaciens leur accordaient même une note de satisfaction de 6,8/10 et les patients de 8,7/10.
Interrogés sur le terrain, les adjoints ne voient que des avantages à ces entretiens : « ils ont transformé notre relation avec le patient », indique Gaëlle, adjointe dans la Loire. « Cela nous a permis de nous rendre compte du quotidien du patient, de tisser une autre relation avec eux », poursuit-elle. Le bénéfice est également au rendez-vous pour les patients qui ont désormais « une meilleure connaissance de l’utilisation de leurs médicaments », évoque Pascale, adjointe dans la Gironde. Pareillement, Amandine, adjointe dans l’Ain, salue ce changement de relation avec le patient : « cela m’a permis d’entrer dans des détails qu’on n'aborde pas au comptoir par manque de temps et de confidentialité. De plus, les patients savent maintenant réagir en cas de signe de surdosage et connaissent les médicaments qu’ils peuvent prendre en automédication sans risquer d’interactions. »
Désaffection
Pourtant, toutes ces adjointes avouent « ne plus faire d’entretiens pharmaceutiques depuis bien longtemps ». Il en est de même dans la majorité des officines, qui ont largement jeté l'éponge. La désaffection se ressent dans les chiffres : sur les 10 premiers mois de l’année 2017, seulement 4 305 patients étaient inscrits aux entretiens AVK, contre 9 268 sur l’année 2016… Et 14 775 en 2015. Une chute libre.
Quant aux entretiens asthme, ils n’ont jamais vraiment décollé, entravés par un recrutement des patients trop compliqué (avec des critères d’inclusion au départ très stricts et qui se sont élargi par la suite à tous les asthmatiques chroniques) : depuis 2015, ces entretiens stagnent entre 3 700 et 5 600 adhésions par an. Idem pour les entretiens AOD, qui comptent entre 5 500 et 7 500 adhésions par an depuis 2016.
Le constat est identique côté formation. « Après s'être fortement mobilisés lors de la mise en place des entretiens, aujourd’hui les pharmaciens ne se forment presque plus sur ces thèmes, regrette Pierre-Xavier Frank, directeur d’IFMO et de l’école de formation Qualipharm. Nous avons même arrêté de faire des sessions sur les AVK, faute de participants. »
Les raisons d’un abandon
Pourquoi les entretiens n’ont-ils pas réussi à prendre leur envol ? « Surtout par manque de temps », évoquent bon nombre d’adjoints. D’autres mettent en cause la rémunération, trop faible (40 euros les 2 entretiens) et payée trop tardivement (un an après), avec beaucoup de dossiers qui n’ont pas été validés par la Sécurité sociale. Ainsi, en 2016, 70 % des entretiens réalisés (asthme, AVK et AOD) n'ont pas été payés aux pharmaciens pour des raisons de recrutement ou administratives (numéro de Sécurité sociale invalide, nombre d’entretiens non atteints…). Au final la rémunération des entretiens pharmaceutiques en 2016 a été de l’ordre de 200 euros par pharmacie !
Dans un contexte de travail en flux tendu à l’officine, ces problèmes de financement ont d’autant plus conduit les titulaires à ne plus souhaiter que les adjoints s’investissent dans cette mission. « Depuis 2009, on a perdu en moyenne un salarié par officine. Logiquement, le titulaire préfère que son adjoint soit au comptoir et délivre des ordonnances ou fasse du conseil. C’est la réalité du terrain », admet Pierre-Xavier Frank.
Parmi les autres freins évoqués, les pharmaciens ont parfois été confrontés aux réticences des médecins, qui estimaient que les officinaux empiétaient sur leur domaine et qui déconseillaient à leurs patients d’effectuer un entretien pharmaceutique.
Mais la principale difficulté semble plus profonde et liée aux modalités mêmes des entretiens. En effet, leurs objectifs, tel que définis par l’assurance-maladie, ne semblent pas avoir été bien expliqués aux pharmaciens. Les outils mis à leur disposition permettaient de délivrer de l’information au patient, plus que de l’accompagner dans une démarche de compréhension de son traitement et d’amélioration de l’observance. Conclusion : les pharmaciens ont informé, mais n’ont pas pour autant fait d’éducation thérapeutique (voir encadré) et ont eu du mal à entretenir le dialogue et à maintenir leur écoute.
Lourdeurs protocolaires
Enfin, l’adhésion aux entretiens pharmaceutiques pourrait être plus importante si l’on simplifiait les protocoles. « En faisant une usine à gaz, l’assurance-maladie a démotivé les pharmaciens, qui pourtant, répondent toujours positivement aux sollicitations », analyse Sébastien Faure. Professeur de pharmacologie à la faculté de pharmacie d'Angers, Sébastien Faure a lancé le projet Rancho, qui vise à repérer plus facilement des asthmatiques non contrôlés dans les officines du Maine-et-Loire, pour ensuite leur proposer des entretiens pharmaceutiques afin d’évaluer l’observance du traitement et la bonne utilisation du dispositif d’inhalation. Un courrier de liaison adressé par le pharmacien au médecin généraliste référant du patient permet de partager les informations recueillies*.
Moins longs, plus ciblés
Quelles sont les modifications qui permettraient de relancer les entretiens pharmaceutiques ? Les syndicats pharmaceutiques et l’assurance-maladie se sont penchés sur la question. Au final, il a été intégré à la convention signée cet été que les entretiens seraient plus courts (aujourd’hui ils durent 30 minutes) et qu’ils auraient une thématique. Dans l’asthme par exemple, on mènera un entretien pour expliquer les dispositifs médicaux à un patient qui ne les a pas compris, ou on fera la différence entre traitement de fond et de crise si cette notion n’est pas acquise. Chaque thème, identifié en fonction des besoins du patient, fera l’objet d’un unique entretien. Le second entretien sera consacré à l’observance.
De plus, les entretiens seront réévalués financièrement : la première année, 50 euros pour les deux entretiens (au lieu de 40 précédemment). Les années suivantes, 30 euros pour un entretien thématique + un entretien de suivi de l’observance.
Par ailleurs, l’année 2018 voit l’arrivée d’un nouveau type d’entretien pharmaceutique : le bilan de médication. Ce dernier concerne les patients de plus de 65 ans en ALD ou les patients de plus de 75 ans sans ALD qui prennent au moins 5 médicaments en chronique. En pratique, le pharmacien interrogera tout d'abord le patient afin de recueillir toutes les données sur ses traitements et sur l’observance. Ensuite, sans la présence du patient, le pharmacien effectuera l’analyse des traitements, des interactions et de la pharmacie clinique. Un compte rendu de ce travail sera envoyé au médecin référent. Puis le pharmacien reverra le patient en entretien afin d’améliorer la prise en charge et de minimiser les risques iatrogènes. La rémunération sera de 60 euros la première année. La seconde année, elle sera de 30 euros en cas de changement de traitement + suivi de l’observance, ou de 20 euros pour un suivi de l’observance seul.
Les entretiens du futur
Et ce n’est pas fini. Déjà, se dessinent de nouvelles missions : l’assurance-maladie et les syndicats de pharmaciens songent à instaurer des entretiens pharmaceutiques rémunérés dans l’aide au sevrage tabagique, le dépistage du cancer colorectal, le suivi des patients en chimiothérapie orale, la préparation des doses à administrer (PDA). Ils travaillent aussi sur une dispensation adaptée pour certains traitements qui ne nécessitent pas une posologie fixe (dans la constipation, la douleur l’inflammation). Dans ces cas, le pharmacien pourrait délivrer la quantité de médicament juste nécessaire et non pas la quantité maximale.
Par ailleurs, d’autres initiatives d’entretiens pharmaceutiques ont été menées en dehors de celle proposée par l’assurance-maladie : des groupements de pharmaciens mènent des expérimentations d’entretiens pharmaceutiques dans le diabète, le cancer, le sevrage tabagique, l’asthme, la femme enceinte… Les initiatives sont nombreuses pour faire évoluer le métier de la pharmacie et renforcer le rôle de conseil, d’éducation et de prévention de l’officinal.
* Sébastien Faure a par ailleurs obtenu le prix Galien 2017, volet e-santé, pour son projet « Mon Carnet AVK ».
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