Mars 2020-mars 2022, la pandémie est passée par là et la pharmacie d'aujourd'hui ne ressemble en rien à ce qu’elle était il y a trois ans. Ni davantage l'organisation des soins. L’activité dans les cabinets n’a pas recouvré son niveau de février 2020. Alors qu’à cette date, les généralistes enregistraient 17,3 millions de consultations donnant lieu à une prescription, la fréquentation a à peine atteint 15 millions en ce mois de février. Aucune compensation n’est à espérer de la téléconsultation. Car après avoir explosé en avril 2020, pour atteindre 22,5 % des consultations de médecine générale, la consultation à distance a reculé de 77 % depuis.
L'officine de 2022 devra manifestement se trouver de nouveaux relais de croissance. Et ce en faisant désormais abstraction des missions liées au Covid. Car dans ce tableau dressé par GERS Data jusqu’au 12 mars, la flambée des tests antigéniques au cours des dix premières semaines de l'année - 37 millions ont été réalisés - n’est sans doute qu’un feu de paille. Tout comme celle des ventes d'autotests qui ont contribué pour 8 points à la croissance de 19 % du segment conseil par rapport à 2021. Un segment conseil qui d'ailleurs – hors autotest - recule d'un point par rapport à 2020. Sur quelles tendances l’évolution de l’officine s’inscrira-t-elle alors dans la durée ? Là réside toute la complexité de l’analyse, convient David Syr, directeur général adjoint de GERS Data. « Les repères sont de plus en plus difficiles à déterminer, tout comme les comparatifs sur lesquels nous pouvons baser notre compréhension des phénomènes dans le réseau officinal », poursuit-il.
Génériques et vaccins grippe
Une chose est certaine, au printemps 2022, la pharmacie « centralise tout ce qui touche à la santé », affirme David Syr. Et d’en énumérer les preuves. Au cours des dix premières semaines de cette année, l’activité officinale a gagné 10 points par rapport à 2021, 8 points par rapport à 2020. Depuis la mi-février, cette tendance se stabilise à + 9 % comparée à l’année dernière (+ 4 % en comparaison avec 2020). Ces comparatifs avec les 10 premières semaines de 2020, basés par conséquent sur une période pré-Covid, sont particulièrement lourds de sens. Ils signalent en effet les potentielles sources de croissance de l’officine. Un premier constat ne surprend aucunement. Les prescriptions hospitalières, affichent un bond des ventes à deux chiffres : + 15 % par rapport à 2021 et même + 21 % par rapport à 2020. En revanche, en ce qui concerne les autres prescriptions (ventes), le tableau est plus nuancé. Si les ordonnances de ville restent flat à + 2 % (+ 4 % par rapport à 2021), le conseil progresse de 7 points (19 points par rapport à 2021) depuis le début de l’année. Cependant, relève David Syr, dans le conseil, une décroissance se signale depuis quatre semaines avec un recul d’activité de 7 points par rapport à 2020.
Rapportée aux différents segments par taux de TVA, l’analyse des dix premières semaines de 2022 démontre une progression de 9 % du médicament remboursable. Elle suit la dynamique observée depuis trois dernières années, les ventes mensuelles étant passées de 1,6 milliard d’euros en période pré-Covid à désormais 1,7 milliard d’euros, en moyenne. Ces ventes sont portées ainsi chaque mois par cinq classes qui représentent à elles seules une croissance de 85,8 millions d’euros du chiffre d’affaires (PFHT). Au premier rang, les produits contre les fibroses kystiques, l’Orkambi (Laboratoire Vertex) y contribuant pour 10 millions d’euros. À noter également la part des inhibiteurs directs du facteur XA, dont l’Eliquis qui cumule 2,3 millions de doses vendues depuis le début d’année et le Xarelto, 1,5 million. Enfin, parmi ces cinq contributeurs à la croissance, on dénombre également les antagonistes des hormones cytostatiques qui progressent de 26 % et représentent chaque mois une croissance de 11 millions d’euros du chiffre d’affaires (voir tableau ci-contre).
Le GERS Data met en exergue une autre constante de l’officine : le taux de pénétration des génériques qui témoigne, à 84,2 % et 84,3 pour ces deux premiers mois de l’année, d’un niveau équivalent à la moyenne de 2020. « Une augmentation assez forte par rapport à 2021 et qui a l’air de se prolonger dans le temps », observe Patrick Oscar, directeur général de GERS Data. La performance est loin de se répéter, en revanche, du côté des biosimilaires, où le taux de pénétration s’écroule à 20,5 % en janvier, voire à 19, 9 % en février, contre 22,3 % il y a encore un an, et 23,8 % en 2020. « Cette chute s’explique par l’impact du taux très faible de pénétration de l’insuline, alors que celle-ci représente un poids important au sein des biosimilaires », analyse-t-il.
Un autre facteur consolide la position de la pharmacie dans le système de soins : la vaccination antigrippale qui rend désormais le réseau officinal incontournable. « Plus de 40 % des vaccins grippe ont été administrés par les pharmaciens et 11,4 millions de doses ont été vendues en officine lors de cette dernière campagne, soit 9 % de plus qu’en 2019-2020. Et ce dans un contexte épidémiologique qui rappelle, avec son accélération tardive, la tendance de 2016 », souligne David Syr, insistant sur le rôle de conseil qu’ont joué les pharmaciens au comptoir en présence de symptômes Covid et grippaux.
Allégations santé et prévention
Pour autant, en 2022 comme dans le passé et certainement à l’avenir, l’économie officinale devra composer avec un indicateur de poids : la variation du prix du médicament. Entre le 1er janvier et le 25 février, des baisses de prix ont été enregistrées en ville pour un volume de 428 millions d’euros. Cumulées aux baisses opérées à l'hôpital, ce sont aujourd’hui 604 millions d’euros d’économies qui ont déjà été réalisées sur les 825 millions d’euros prévus par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 (LFSS 2022). « Après des pics enregistrés pendant ces trois premiers mois, nous devons nous attendre à de nouvelles baisses de l’ordre de 145 millions d’euros en ville. Aucune annonce n’est encore faite entre juin et décembre, mais vraisemblablement de nouvelles baisses interviendront et l’objectif de la LFSS sera aisément atteint, sinon dépassé », commente Patrick Oscar.
Dans un tel contexte, quels segments viendront en renfort dans la pharmacie post-Covid ? « Durant cette pandémie, l'officine a fait la démonstration qu'elle est un acteur de santé accessible et elle a donné la preuve de l'élasticité du réseau à absorber une nouvelle offre », constate David Syr. L'évolution de certains segments du conseil semble démontrer que la pharmacie peut capitaliser sur ces nouveaux atouts. Il s'agit essentiellement des segments porteurs d'allégations santé et de prévention, analyse le directeur général adjoint du GERS Data. Et de citer le renforcement de l'immunité et des défenses naturelles et le sommeil. Mais aussi, en cosmétique, sur l'acné, les soins du corps et l'hygiène. A contrario, le segment de la minceur, fragilisé depuis la pandémie, est en perte de vitesse, mois après mois. Le CBD fait également une percée remarquée, porté à la fois par les propriétés du cannabidiol, mais aussi par l'imaginaire lié au cannabis… De 50 000 euros en août 2021, les ventes sont passées à 350 000 euros en février 2022.
Quant à l'évolution du bucco-dentaire, marché qui a fait preuve d'un beau mordant tout au long de la pandémie, les paris restent ouverts. Il a incontestablement profité d'un positionnement renforcé de l'officine dans la distribution des produits de santé, tous types confondus, comme le constate David Syr. Le directeur général adjoint du GERS Data identifie aussi, avec amusement, un autre facteur, plus inattendu. Ce qu'il appelle l'effet masque : « en circuit fermé nez bouche, les Français ont été sensibilisés à l'hygiène bucco-dentaire ! » L'avenir dira si ce segment résiste à l'abandon des gestes barrières, tout particulièrement celui du masque.
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