Parfois, les chiffres se passent de commentaires. En 2023, l'ANSM a enregistré une augmentation des signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures de stock en médicaments, avec 4 925 déclarations, contre 3 761 signalements en 2022 et 2 160 en 2021. Entre 2021 et 2023, en seulement deux ans donc, le nombre de signalements a donc bondi de… 128 %. S’il convient de noter qu’un seul et même médicament peut faire l’objet de plusieurs signalements, ces données confirment une triste réalité : les tensions d’approvisionnement et les pénuries s’aggravent et rien ne semble pouvoir stopper cette chute infernale.
Comme le relève l’ANSM, « toutes les classes de médicaments sont concernées par les ruptures de stock ou les risques de ruptures ». Parmi les médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs (MITM), les plus représentés sont les médicaments cardiovasculaires, les médicaments du système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux. Alors que les ruptures de médicaments aussi courants que le paracétamol ou l’amoxicilline avaient fait les gros titres des médias l’hiver dernier, le gendarme du médicament note toutefois quelques améliorations ces dernières semaines. La couverture des besoins est « assurée », concernant certaines spécialités suivies dans le cadre du plan hivernal, notamment les médicaments contre la fièvre, contre l’asthme et les corticoïdes par voie orale. Si des ruptures et difficultés d’approvisionnement sont signalées ces derniers temps sur des antibiotiques, tels que l’azithromycine, le cefpodoxime pédiatrique ou encore la pristinamycine (Pyostacine), l’ANSM tient aussi à souligner que l’on observe « une amélioration progressive de l’approvisionnement des pharmacies et de la répartition d’amoxicilline et d’amoxicilline-acide clavulanique sur l’ensemble du territoire, en particulier sur les présentations pédiatriques ». Problème, ces améliorations évoquées sur l’amoxicilline ne semblent pas encore perceptibles sur le terrain, si l’on en croit les témoignages de nombreux officinaux. Ce qu’ont confirmé lors des « Rencontres de l’officine », ce week-end, certains acteurs du marché. « L’ ANSM a demandé aux laboratoires de libérer des stocks, ce qui a provoqué un retour aux niveaux du mois d’octobre pour certaines molécules, mais en cas de résurgence de pathologies hivernales, la situation s’aggravera de nouveau », évoquent-ils. « Même si des améliorations sont perceptibles dans l’approvisionnement des grossistes-répartiteurs, nous restons dans des situations inconfortables pour assurer la couverture des besoins », renchérit Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP).
Invité à s’exprimer sur le sujet samedi sur « France info », le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset, a lui aussi fortement nuancé les déclarations positives de l’ANSM au sujet de l’amoxicilline. « Je ne constate pas cela sur le terrain », affirme-t-il. « Nous avons une rupture de l'amoxicilline, Clamoxyl et Augmentin. Il y a eu un approvisionnement une fois il y a deux semaines effectivement, mais de nouveau, nous sommes dans de très nombreux cas en rupture. On a vraiment un problème sur les antibiotiques. On ne s'en sort pas », se désespère-t-il. Lors d’une nouvelle réunion tenue la semaine dernière en présence de tous les acteurs de la chaîne du médicament, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) avait demandé de libérer les stocks des génériques de certains médicaments en tension, comme Augmentin. Il rappelait également un autre problème qui concerne cette fois l’azithromycine : « Il y a des stocks énormes chez les industriels, plus de 4 mois, et rien ou presque en aval de la chaîne. »
Pour Philippe Besset, il est urgent que la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités prenne le dossier à bras-le-corps. Augmentation de la demande, mésusage, vieillissement de la population, difficulté ou impossibilité de relocaliser la production, question du prix… les causes des ruptures et tensions sont, comme chacun sait, multifactorielles. Le problème est aussi, et surtout, mondial, et le président de la FSPF ne se montre guère optimiste pour l’avenir. « Je crains qu'il faille apprendre à vivre dans les années à venir avec un autre rapport aux médicaments », prophétise-t-il. Pas sûr que les dernières mesures prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 (renforcement du pouvoir de police sanitaire de l’ANSM, amélioration du dispositif de prise en charge des préparations magistrales réalisées par les pharmacies de ville dans certains cas, possibilité de recourir à des préparations officinales spéciales…) suffisent à améliorer sensiblement la situation. D’autant plus qu’une autre disposition sur laquelle l’ANSM fonde beaucoup d’espoir, la dispensation à l’unité obligatoire en cas de problème d’approvisionnement sur certaines spécialités, ne suscite pas d’enthousiasme (c’est un euphémisme) chez les officinaux.
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