Le Quotidien du pharmacien.- Le 6 octobre, les pharmaciens ont débuté l'expérimentation de la vaccination à l'officine. Quelle signification a pour vous ce test ?
Agnès Buzyn.- Nous suivons de près cette expérimentation et nous y sommes très favorables. Pour nous, la vaccination antigrippale à l’officine représente l’un des moyens d’améliorer la couverture vaccinale. Aujourd’hui, moins de la moitié des personnes de plus de 65 ans invitées à se faire vacciner (47 %), le font réellement. Je veux rappeler qu’environ 16 000 décès supplémentaires ont été attribués à la grippe l’année dernière au sein de cette population. L’objectif est donc de faciliter l’accès à l’acte de vaccination afin d’augmenter significativement le nombre de personnes réellement vaccinées. Et les premiers retours de l’expérimentation sont excellents. Sur les 4 000 pharmacies susceptibles d’y participer, plus de 2 200 sont passées à l’action. Environ 78 000 patients ont déjà ainsi été vaccinés par un pharmacien, ce qui montre un véritable élan pour cet acte en officine, pour l’heure limité à deux régions.
Pourtant, certaines contraintes, notamment l'interdiction de prendre en charge les primo-vaccinants, sont mal comprises par les officinaux qui estiment que ces personnes font justement partie de la cible visée par l'expérimentation. Que leur répondez-vous ?
Il est normal de fixer un cadre lors d’une expérimentation, surtout au début, de façon à limiter les risques, en l’occurrence ici la possibilité d’une manifestation allergique avec le vaccin antigrippal. Ensuite, un bilan sera réalisé, tous les ans. Nous allons entendre ceux qui ont participé à l’expérimentation et rien n’empêchera, le cas échéant, de modifier certaines modalités pour les années suivantes. Quoi qu’il en soit, on peut déjà se satisfaire du fait que, malgré la restriction aux plus de 65 ans ayant déjà été vaccinés contre la grippe, les chiffres de la participation soient aussi élevés. Et puis, rappelons que les restrictions appliquées aux pharmaciens sont les mêmes que celles en vigueur pour les infirmiers.
Notamment en zone rurale, le développement des déserts médicaux conditionne la survie même du réseau officinal. Dans ce contexte, comment comptez-vous aider l'officine à maintenir la permanence des soins ?
Aujourd’hui, nous considérons que le pharmacien est un acteur essentiel du premier recours. Il fait partie intégrante des professionnels dont nous avons besoin sur le territoire et nous sommes très attachés au maillage des officines. Une des façons de préserver ce maillage est de donner aux pharmaciens un rôle plus important, plus visible, dans le domaine de la santé publique. J’ai le sentiment, pour en avoir discuté avec les syndicats et l’Ordre, que c’est aussi un souhait de la profession de diversifier son activité. Les pharmaciens ont, par exemple, toute leur place dans la stratégie nationale de santé que je porte, notamment dans le volet « prévention » qui en est l’axe principal.
Les officinaux sont pour l'heure les « oubliés » de la télémédecine. Ne croyez-vous pas qu'ils pourraient jouer un rôle important dans la démarche ?
Les pharmaciens ne sont pas oubliés, ils sont inclus dans le dispositif. Le texte n’est pas réservé aux médecins, il désigne tous les professionnels de santé qui peuvent être impliqués. Les officinaux participeront aux négociations qui débutent.
Afin de financer l'innovation, entendez-vous continuer d'actionner le levier des baisses de prix pénalisantes pour l'économie de l'officine ?
Mon objectif est d’aboutir à l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale. Or la baisse du prix des médicaments est un des leviers pour y parvenir, tout en permettant le financement de l’innovation dont on sait qu’elle est de plus en plus coûteuse. Pour autant, en agissant ainsi, mon objectif n’est pas de pénaliser les pharmaciens. Aussi est-il nécessaire de faire en sorte que l’économie officinale soit de moins en moins dépendante du prix des médicaments. Il me semble plus intéressant que la rémunération du pharmacien soit diversifiée, qu’il soit payé pour des services rendus à la population, notamment en matière de prévention, de conciliation médicamenteuse, ou encore pour la réalisation de bilans de médication. Pour moi, c’est cela le rôle du pharmacien. La convention pharmaceutique qui vient d’être négociée prévoit qu’en 2020, 75 % de la rémunération ne soit plus liés au prix des médicaments. Je crois que cette évolution va dans le bon sens.
En effet, les pharmaciens font évoluer leur rémunération vers davantage d'honoraires. Vous souhaitez donc accompagner ce mouvement ?
Oui, complètement. Je serai à l’écoute des propositions venant de la profession parce que je pense que les officinaux ont un rôle fondamental à jouer dans le champ de la prévention. Pour l’heure, les rémunérations sont surtout dédiées à l’évaluation des prescriptions. C’est leur cœur de métier. Mais on peut imaginer une diversification encore plus importante de leur rémunération, par exemple en contrepartie de missions telle la vaccination antigrippale. Par ailleurs, les pharmaciens qui exercent dans des territoires sous dotés en médecin vont pouvoir s’inscrire dans des expérimentations d’organisations innovantes avec des maisons de santé ou d’autres professionnels de santé. Ces initiatives seront accompagnées financièrement.
En pleine crise du Lévothyrox, vous avez décidé le retour transitoire de l'ancienne formule dans les officines. Ne pensez-vous pas que cette décision a pu déstabiliser un peu les pharmaciens qui avaient entrepris leur devoir d'information autour du changement de formule ?
C’est vrai, mais il n’y avait pas de solution idéale. Après les avoir écoutées, ce que j’avais promis aux associations de patients, c’était de parvenir à une diversification de l’offre. Certains assuraient en effet qu’avec la nouvelle formule, et malgré un équilibre thyroïdien avéré biologiquement, des effets secondaires survenaient. On doit aussi prendre en compte la parole des malades et j’ai entendu qu’ils ne supportaient pas l’idée de ne pas avoir accès à l’ancienne formule. Comme il y avait un délai d’au moins un mois entre le moment où je les ai reçus et le moment où je pouvais obtenir la diversification de l’offre sur le territoire, j’ai accepté que l’on fasse revenir des stocks de l’ancienne formulation. Je dois au passage saluer le travail réalisé par les pharmaciens auprès des 3 millions de malades qui ont changé de médicament. Un travail efficace pour 2,9 millions d’entre eux, car aujourd’hui, il n’y a que 100 000 personnes à être revenues à l’ancienne formule. Le rôle des officinaux a donc été extrêmement utile puisqu’ils ont permis d’accompagner ce changement de formule pour la très grande majorité des malades. Et ce, dans des conditions délicates, car ils ont dû faire face à la demande de patients en difficulté avec des stocks qui étaient limités. Comprenez-moi, si je n’avais pas fait ce choix - celui du retour de l’ancienne formule -, on m’aurait reproché de ne pas entendre la parole des malades, de ne rien faire et d’attendre simplement la diversification de l’offre. Dès que j’ai acté la diversification et la réimportation de l’ancienne formule, mi-octobre, nous avons diffusé un courrier détaillé aux pharmaciens et le site de l’Ordre des pharmaciens a publié les documents nécessaires, pour assurer leur bonne information. Le jour même où j’ai pris ces décisions, j’ai prévenu l’Ordre et les syndicats. Au total, je pense que, vu l’état de détresse des patients à ce moment-là de la crise, je me devais de les écouter.
Et sur les origines mêmes de la crise du Lévothyrox, quel est votre sentiment ?
Je pense que cette crise a été essentiellement liée à un problème de non-information. C’est d’ailleurs la conclusion du récent rapport parlementaire remis par Jean-Pierre Door. L’information est aujourd’hui organisée pour être ciblée vers les professionnels de santé et ne vise pas directement les malades. De facto, les patients se sont sentis piégés car ils n’avaient pas accès à un autre médicament. Ils ont eu le sentiment de ne pas avoir été écoutés par les professionnels de santé qui minimisaient leurs effets secondaires au motif qu’ils étaient attendus. Cela a sans doute considérablement amplifié l’anxiété des malades. En effet, lorsqu’on examine le bilan intermédiaire de pharmacovigilance de l’ANSM réalisé sur les 5 000 premiers dossiers (parmi les 15 000 déposés), on constate l’absence d’effets secondaires graves, c’est-à-dire ceux entraînant une hospitalisation ou un décès. Pour autant, cela ne veut pas dire que les malades n’ont pas ressenti des effets secondaires notables. Voilà pourquoi je pense qu’il est très important d’améliorer notre capacité à toucher directement le public pour qu’il soit mieux informé. Quant à la question de l’approvisionnement, j’avais prévenu les associations de patients que le stock de l’ancienne formule serait limité à 190 000 boîtes puisque le laboratoire allait changer de formulation dans tous les pays d’Europe. Pour éviter qu’une telle crise se reproduise, j’ai lancé une mission sur l’information et le médicament. Celle-ci visera à améliorer l’information du grand public et les professionnels de santé autour du médicament. Je pense en effet qu’il convient de mieux articuler l’information délivrée aux professionnels avec celle que l’on devrait donner au grand public. Un pharmacien d’officine fera partie du groupe de travail de cette mission qui sera mise en place à la fin du mois.
L'ordonnance visant à simplifier les règles d'installation, de regroupement et de transfert des officines sur le territoire est très attendue par la profession. Quand peut-on espérer sa parution ?
Le texte est actuellement examiné par le Conseil d’État et il paraîtra avant la fin de l’année.
Où en est votre réflexion sur la dispensation des médicaments à l’unité ?
Les conclusions du rapport sur l’expérimentation qui a été menée seraient assez positives. J’attends que ce rapport me soit rendu avant de prendre une décision. Mais l’idée n’est certainement pas de dispenser tous les médicaments à l’unité. J’imagine que cela peut être très utile pour des traitements de court terme, tels les antibiotiques, afin de lutter contre le phénomène de l’antibiorésistance. En revanche, cela n’a aucun intérêt pour les traitements au long cours. Je suis très prudente sur les problèmes de sécurité et de traçabilité que peut engendrer la vente à l’unité, même si je pense que la gabegie et le développement de l’antibiorésistance doivent être traités.
Concrètement, quelle place doit occuper le pharmacien dans le parcours de soins ?
Pour moi, le pharmacien est un acteur essentiel du premier recours. Toutes les organisations innovantes peuvent aujourd’hui accueillir un pharmacien. Qu’il s’agisse de réseaux ou de maisons de soins pluridisciplinaires. C’est une évolution favorable. Je pense par ailleurs que les officinaux ont toute leur place dans la stratégie nationale de santé. Ils peuvent s’en emparer, notamment en ce qui concerne leur rôle en matière de prévention, par exemple pour l’aide au sevrage tabagique, le repérage et l’accompagnement de personnes souffrant d’addiction, les dépistages organisés comme celui du cancer du col ou du cancer colorectal. C’est une évidence : le rôle des pharmaciens est en train de se diversifier et de s’amplifier par rapport à celui qui leur était dévolu jusqu’à présent. Lorsqu’il s’agit d’accompagner les évolutions du système de santé, les pharmaciens montrent souvent la voie. À cet égard, je salue d’ailleurs leur implication dans la mise en place du tiers payant qui a été exemplaire.
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