PENDANT très longtemps, le centre-ville de Dieppe a concentré la quasi-totalité des officines. Les habitants des quartiers excentrés venaient y chercher leurs prescriptions. Mais les choses ont changé après la seconde guerre mondiale. Avec le développement de lotissements périurbains, des villages se sont développés. Des pharmacies s’y sont installées.
Le temps des vaches maigres.
Mais avec la crise actuelle, la situation se retourne à nouveau. Le tissu industriel local, la pêche, le port de commerce et même la ligne maritime historique reliant Dieppe à la Grande Bretagne, connaissent de grandes difficultés, tout comme le commerce local. Et c’est dans cette période trouble que plusieurs officines ont changé de mains. Les installés historiques ont laissé place à quelques jeunes qui ont réussi le premier acte fondateur de tout nouveau titulaire : convaincre les banquiers de l’accompagner.
Dieppe compte aujourd’hui quinze officines, dont une mutualiste, après la fermeture de deux pharmacies ces dernières années. Un ou deux établissements pourraient encore disparaître par fusions. Sept sont installées dans le centre-ville. Les autres se sont créées par transfert, parfois dérogatoire, ou création dans des quartiers en développement et dans un centre commercial d’hypermarché périphérique.
Tous les pharmaciens du port transmanche se connaissent, parfois depuis l’enfance. La majorité des officinaux d’aujourd’hui sont originaires de la ville. Beaucoup ont fait leurs études dans la toute proche faculté de Rouen. Les jeunes officinaux nouvellement installés sont tous hypermotivés. Normal ! Avant d’obtenir la clé de leur pharmacie, ils ont souvent dû suivre un vrai chemin de croix pour décrocher leurs financements. « Prévisionnels de bilans, de trésoreries, garanties, avis de cabinet d’expertise comptable… Nous avons attendu jusqu’à la dernière minute la décision des banques », témoignent Heloïse Hemery et Sylver Van Dessel, deux jeunes associés qui ont repris il y a dix-huit mois « La Grande Pharmacie » de la place Nationale. Il s’agit de leur seconde acquisition.
Rester optimiste face à la crise.
« Nous, on va bien. La crise existe, mais on n’a pas le temps de s’y attarder », résument en substance, les deux jeunes pharmaciens. Résolument optimistes, ils refusent, tout pessimisme, comme leurs quatre préparatrices, leur apprentie et l’étudiante qu’ils emploient. « La situation ne peut que s’améliorer. Nous sommes toujours parfaitement dans les rails du bilan prévisionnel sur lequel reposent nos prêts. Nous avons une clientèle variée et diversifiée. Elle est locale pour partie, extérieure et internationale avec les touristes qui viennent dans la cité balnéaire pour le reste. Nous allons passer le pic de la dépression et tout ira bien », concluent-ils.
Ils mettent cependant un petit bémol en évoquant les conséquences des difficultés liées à la substitution. « Nous avons quelques médecins qui apposent presque systématiquement la mention non substituable sur leurs ordonnances… »
Plus concrètement, ils dénoncent, comme les « anciens » titulaires de la cité d’Ango, la disparition de spécialistes prescripteurs installés auparavant dans le centre de la ville. Les nouveaux médecins spécialisés préfèrent désormais aller travailler dans la nouvelle clinique de Mégival qui vient d’ouvrir à l’entrée de Dieppe. Mais la situation pourrait évoluer. La population urbaine, de plus en plus âgée et paupérisée commence à grogner. Faute de médecin, devoir prendre un bus pour aller à la clinique ne plaît pas à tous, « même si au retour de la clinique, ils trouvent une pharmacie de centre commercial, à un simple arrêt de là… »
Viser de nouvelles clientèles.
« On voit beaucoup de touristes », témoignent Maud Coquatrix et Véronique Follin qui ont racheté, à parts égales, le fond de la Pharmacie du Puit Salé, la plus centrale des officines dieppoises. Elles étaient adjointes quand la titulaire est brusquement décédée. Après un temps de gérance soutenue unanimement par l’ensemble des pharmaciens de Dieppe, les deux amies associées ont réussi à monter un dossier de rachat de l’officine grâce à l’entraide exemplaire des professionnels. « Tous les confrères sont venus à notre aide. Ils nous ont soutenues, se sont engagés, nous ont aidées au maximum… »
Aujourd’hui, l’officine, placée au confluent des rues piétonnes où se promènent les touristes, vient d’être totalement redécorée dans une ambiance naturelle toute en touches de douceurs.
« La ville de Dieppe s’effrite et se délite. Elle s’effiloche comme peau de chagrin », constate la titulaire de la pharmacie Sorel Cadestin dans l’hyper-centre de la ville. Elle va prendre sa retraite en fin d’année et ne voit pas l’avenir en rose. « Il n’y a plus d’emplois. Le pouvoir d’achat baisse… » Elle se dit très inquiète quant à l’avenir qu’elle prévoit difficile dans une cité qui va, selon elle, continuer à s’appauvrir.
Christophe Armandou, qui a passé toute sa carrière dans le port dieppois, partage pour l’essentiel cette analyse. Il exerce aujourd’hui dans sa pharmacie de la poste. Il se souvient qu’à la fin des années 1990, il travaillait sur le quai dans une officine qui gérait les coffres de dotation médicale des bateaux de nombreux chalutiers.
Aujourd’hui il ne reste plus que cinq « coquillards » dans le port. Les campagnes sont bien desservies par leurs officines locales. « On a tout connu : les pressions pour les génériques et les baisses de marges, poursuit le pharmacien. Aujourd’hui on est en train de changer toute la philosophie du métier. Il faut que la profession bouge avant que Monsieur Leclerc ne commence à vendre des médicaments dans ses magasins. » En attendant, Christophe Armandou continue, en tant que grand ancien expérimenté, à gérer les tableaux des gardes de la ville.
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