Une telle position ne peut que surprendre, alors même que le cadre réglementaire et législatif a supprimé la notion d’extemporanéité, et n’a pas été modifié depuis la circulaire émanant de la CNAMTS en date du 5 novembre 2008 (CIR-58/2008) qui en admettait le remboursement. Ce d’autant que 56 % des Français ont recours à l’homéopathie (sondage Ipsos 2012) et que 71 % sont favorables à son remboursement (sondage Ipsos 2015).
Le refus de remboursement par les organismes de Sécurité sociale de cette solution thérapeutique peu coûteuse risque donc de contraindre les patients à recourir à des prescriptions allopathiques plus lourdes et plus coûteuses. Un tel refus de remboursement est-il justifié ? Rien n’est moins sûr.
Comment expliquer un tel revirement de position ? C’est du côté de la jurisprudence judiciaire que la raison semble se trouver. La cour de cassation a, en effet, rendu une décision le 12 juillet 2012, sur laquelle se fondent les caisses d’assurance-maladie pour refuser le remboursement des préparations magistrales sous-traitées aux établissements pharmaceutiques. Cette jurisprudence est pourtant très contestable, et ce pour de multiples raisons (1). Et c’est bien parce que l’exigence d’extemporanéité n’a plus lieu d’être opposée que la production en série et à l’avance par un sous-traitant de préparations magistrales s’avère possible, sous réserve de respecter, bien entendu, certaines conditions (2).
Caractère contestable de la position de la cour de cassation relative aux PMH sous-traitées.
Si, jusqu’alors, le remboursement de ces médicaments ne posait aucune difficulté, un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet 2012 est venu, en effet, semer le trouble sur les préparations magistrales homéopathiques sous-traitées à un laboratoire pharmaceutique, en réintégrant la notion d’extemporanéité qui a été supprimée des dispositions législatives et réglementaires. En effet, selon cet arrêt : « une préparation magistrale correspond à tout médicament préparé, extemporanément, selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé. » Cette solution contestable a d’ailleurs été confirmée depuis lors. La Cour emprunte les termes de l’article L 5125-1 du CSP dans sa version antérieure à la loi n° 2008-337 du 15 avril 2008, qui est venue supprimer le critère d’extemporanéité pour les préparations magistrales sous-traitées. Cette décision prise par le juge judiciaire est donc contraire tant aux textes légaux internes qu’aux textes communautaires.
En effet, dans l’article L 5121-1, alinéa 1 du CSP issu de la loi du 1er avril 2008 précitée, l’exigence d’extemporanéité a été maintenue uniquement pour les préparations magistrales réalisées en pharmacie, et supprimée pour celles sous-traitées(3) à des établissements pharmaceutiques. Il ne s’agit en aucun cas d’une erreur du législateur, mais bien d’un souhait exprès de sa part pour des raisons de pragmatisme économique, et pour se conformer au droit européen, comme cela résulte de la lecture des débats parlementaires : « La directive européenne n’avait pas retenu la notion d’extemporanéité, afin de ne pas risquer de conduire à des situations de blocage ; il convient donc d’introduire une certaine souplesse afin de ne pas pénaliser les établissements pharmaceutiques qui sont à même de réaliser certaines préparations magistrales dans de bonnes conditions. » (4).
La solution de la cour de cassation surprend donc d’autant plus que l’exigence d’extemporanéité ne figure effectivement pas dans la directive communautaire 2001/83/CE, telle que complétée par la directive 89/341/CEE du 3 mai 1989, qui définit ainsi les préparations magistrales : « Tout médicament préparé en pharmacie selon une prescription destinée à un malade déterminé », sans faire la moindre référence au critère d’extemporanéité. Si tant est qu’il faille le préciser, des juridictions ont d’ailleurs depuis longtemps estimé avec sagesse que la conception selon laquelle la préparation magistrale est celle qui est faite uniquement par le pharmacien sur le champ, à la demande et à l'unité, est « totalement surannée et tombée en désuétude » (CA Rennes, 20 juin 1984 : Doc. pharm. jurispr. n° 2597).
Il faut comprendre que les contraintes imposées par les bonnes pratiques de préparation et de fabrication (personnels compétents, matières premières répondant aux spécifications de la pharmacopée, opérations de préparation et de conditionnement, techniques de contrôle, gestion de la qualité, obligation de traçabilité…) sont telles et sont tellement coûteuses que les pharmacies non équipées d’un préparatoire aux normes préfèrent recourir à la sous-traitance.
Les contraintes sont encore plus importantes pour les préparations magistrales homéopathiques (PMH) dans la mesure où plusieurs centaines de souches différentes sont utilisées, déclinables en des milliers de formules, et ce sous différentes hauteurs de dilutions et formes pharmaceutiques. En effet, dans le cadre d’une préparation magistrale, le pharmacien doit scrupuleusement respecter la formule (identités des souches, hauteur de dilution, centésimales, décimales, korsakoviennes).
Cela explique tant les raisons pour lesquelles un pharmacien peut difficilement effectuer lui-même une PMH en officine, que celles pour lesquelles l’exigence d’extemporanéité est inconciliable avec la sous-traitance, qui plus est pour les produits homéopathiques.
Un tel régime dérogatoire, dans l’hypothèse d’une sous-traitance, est d’autant plus justifié que la sous-traitance par un établissement pharmaceutique obéit à des contraintes encore plus lourdes que si la préparation est faite en pharmacie. L’établissement pharmaceutique a l’obligation, en effet, d’obtenir l’autorisation d’exercer la sous-traitance de telles préparations, les conditions étant nombreuses et contraignantes (R 5125-33-2 du CSP).
L’admission des préparations faites à l’avance et en série, sous réserve de respecter certaines conditions.
Si l’exigence d’extemporanéité ne peut plus être opposée, quelles en sont alors les incidences ? Avant tout, il faut rappeler que le mot extemporané, terme du XVIe siècle emprunté au bas latin (ex tempore) signifie « sur le champ », immédiat. C’est donc un médicament préparé juste avant son emploi. Il s’agit donc d’une exigence temporelle.
Ne plus exiger une telle condition permet ainsi de préparer à l’avance de telles préparations, et conséquemment en série, à destination d’un ou plusieurs patients.
Les juridictions administratives ont d’ailleurs admis que les préparations magistrales sont des « médicaments préparés en pharmacie sur ordonnance médicale, en vue de leur utilisation par un ou plusieurs malades déterminés » (5).
Une telle fabrication en série et à l’avance est compatible avec l’exigence selon laquelle ce médicament est « préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé » : en effet ce n’est pas la préparation magistrale qui est destinée à un malade déterminé, mais bien la prescription médicale. Cela explique d’ailleurs l’obligation faite au médecin prescripteur d’apposer la mention manuscrite « prescription à but thérapeutique en l'absence de spécialités équivalentes disponibles » (6), conformément à l’article R 163-1 du CSS.
Ainsi, les exigences spécifiques aux préparations magistrales sous-traitées ne tiennent pas à leur mode de préparation et fabrication – unitaire ou en série et à l’avance – mais bien à leur mode de délivrance.
L’entreprise pharmaceutique sous-traitante ne pourra délivrer les préparations magistrales au pharmacien que lorsque ce dernier aura reçu une prescription à un malade déterminé, ce qui implique donc que le pharmacien ne puisse disposer de stocks de celles-ci. En effet, en aucun cas une préparation magistrale ne doit remplacer une spécialité pharmaceutique déjà existante qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM). Cela explique d’ailleurs que l’article L 5121-1 du CSP exclut d’office toute préparation magistrale dès lors qu’il existerait déjà une spécialité disponible.
En conclusion, dans le contexte actuel où la sécurité des patients prime heureusement avant toute autre considération, induisant ainsi une qualité des produits pharmaceutiques et une innocuité de ceux-ci, l’exigence d’extemporanéité et de fabrication unitaire est illusoire et impossible, en dehors des rares officines détenant un préparatoire aux normes. C’est donc avec sagesse que le législateur, avec la loi du 15 avril 2008, a retiré la condition d’extemporanéité pour les préparations magistrales sous-traitées.
Le refus de remboursement de certains organismes de Sécurité sociale est donc difficilement compréhensible, et surtout préjudiciable aux patients.
(1) Civ., 2e, 12 juillet 2012, n° 11-21.006.
(2) Civ., 2e, 10 juillet 2014, n° 13-20.385.
(3) « On entend par préparation magistrale, tout médicament préparé selon une prescription médicale destinée à un malade déterminé en raison de l'absence de spécialité pharmaceutique disponible disposant d'une autorisation de mise sur le marché, de l'une des autorisations mentionnées aux articles L. 5121-9-1 et L. 5121-12, d'une autorisation d'importation parallèle ou d'une autorisation d'importation délivrée à un établissement pharmaceutique dans le cadre d'une rupture de stock d'un médicament, soit extemporanément en pharmacie, soit dans les conditions prévues à l’article L. 5125-1 ou à l'article L. 5126-2. » Pour information, cet article était précédemment ainsi rédigé : « On entend par Préparation magistrale, tout médicament préparé extemporanément au vu de la prescription destinée à un malade déterminé soit dans la pharmacie dispensatrice, soit, dans des conditions définies par décret, dans une pharmacie à laquelle celle-ci confie l'exécution de la préparation », l’exigence d’extemporanéité s’appliquant alors à tout produit.
(4) Compte rendu analytique officiel des débats de la session de l’Assemblée nationale du 5 février 2008, ayant abouti à la loi du 15 avril 2008.
(5) CAA NANCY, 5 janvier 2012, n° 11NC00214, un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt ayant été rejeté par le Conseil d’État, CE, 4 février 2015, n° 357350.
(6) La CNAMTS ayant même admis dans sa circulaire n° 37/2007 du 7 août 2007 que l’apposition de cette mention pouvait être faite informatiquement ou par le biais d’un tampon.
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