LA BELLE unité interprofessionnelle affichée lors de l’opposition au projet de réforme des professions réglementées pourrait bien voler en éclat. À l’origine de la discorde, la future loi de santé que le Parlement examinera à partir de janvier 2015 et son volet visant à moderniser les pratiques et les professions de santé. Dans ce cadre, Marisol Touraine propose que les pharmaciens puissent pratiquer la vaccination.
Loin d’être adoptée, la mesure envisagée provoque déjà un tollé. Notamment du côté des infirmières. Le syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL) estime ainsi que « le ministère de la Santé est non seulement sourd, mais aussi méprisant ». En effet, le SNIIL rappelle qu’il a déjà proposé aux pouvoirs publics d’élargir le droit infirmier à vacciner avec information du médecin traitant. « Mais rien y fait, indique sa présidente Annick Touba. Le ministère de la Santé reste arc-bouté sur son projet (déjà énoncé en avril 2013 !) de donner la vaccination aux pharmaciens » alors même que « les infirmières libérales sont toujours, et de loin, les professionnels de santé les plus proches de la population française, non seulement par leur nombre, mais aussi par leur répartition sur le territoire ».
Des actions complémentaires.
Certes. Mais comme l’explique Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), l’idée des pouvoirs publics n’est pas de substituer des professionnels par d’autres, mais de jouer la complémentarité entre eux afin d’améliorer la couverture vaccinale en France. « Si l’on a pensé au pharmacien pour vacciner, c’est en raison du très grand nombre de personnes entrant quotidiennement dans les officines mais qui, en revanche, ne passent pas la porte d’un cabinet infirmier ou médical », souligne-t-il. « L’objectif n’est absolument pas de vacciner à la place des médecins ou des infirmières », insiste le président de la FSPF. Il ajoute : « une étude réalisée aux États-Unis a montré que l’implication des pharmaciens dans la vaccination grippale a fait progresser le taux de couverture vaccinale de 59 % à 76 %, alors que leur part dans l’activité vaccinale représente 20 %. Cela montre bien que leur participation à la vaccination n’a pas retiré d’activité aux autres acteurs. »
Pas un enjeu économique majeur.
N’empêche, les infirmières voient rouge. « On a compris depuis longtemps que la ministre veut mettre les médicaments sans ordonnance dans les supermarchés, qu’elle veut réduire les marges des pharmaciens pour tenter de baisser le déficit de l’assurance-maladie, mais à quel prix ? interroge la présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL), Béatrice Galvan. Elle n’a trouvé d’autre solution que de prendre des actes aux infirmières pour calmer le courroux des pharmaciens. » La présidente de l’ONSIL prévient : « Madame Touraine, si vous pensez que les infirmières libérales portent encore des cornettes et que vous pouvez les spolier impunément, prenez garde qu’elles ne se coiffent elles aussi d’un bonnet rouge et ne mettent le feu à vos représentations locales pour vous montrer leur exaspération. »
Philippe Gaertner relativise. Permettre aux officinaux de vacciner « ne représente pas un enjeu économique majeur pour la pharmacie », explique le président de la FSPF, son syndicat tablant sur une rémunération de 6,30 euros l’injection, calquée sur celle des infirmières. Et s’il est favorable à ce nouvel acte pour les pharmaciens, c’est avant tout pour des raisons de santé publique.
Cibler les adolescents et les adultes.
De plus, il ne s’agira pas de vacciner à la chaîne tous les clients des officines. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a d’ailleurs déjà précisé que des discussions doivent permettre de déterminer « quels vaccins, selon quelles procédures » seront autorisés. Par exemple, les vaccinations de l’enfant ne devraient pas être concernées. Ce qui inquiète la ministre, c’est la faible couverture vaccinale des adultes et des adolescents. « Si vous prenez les bébés, ils sont vaccinés à presque 100 %, observe Marisol Touraine. En revanche, si vous considérez la vaccination contre la grippe des plus de 65 ans, seulement un Français sur deux y recourt », souligne la ministre de la Santé. Pour elle, c’est clair, donner le droit aux officinaux de réaliser des vaccins ce n’est pas enlever une prérogative aux médecins, puisque les Français ciblés sont justement ceux qui ne vont pas se faire vacciner. Son projet consiste à mettre en place « une solution uniquement complémentaire » visant à « renforcer » le système « en lien avec les médecins ». Philippe Gaertner ne la contredira pas. Pour le président de la FSPF, cette vaccination à l’officine ne pourra se faire que si les pharmaciens respectent certaines conditions : se former à l’acte, aménager un lieu dans l’officine pour réaliser les injections et transmettre l’information sur la vaccination au médecin traitant.
Peut-être que ces propos permettront d’apaiser la colère des médecins généralistes. L’UNOF-CSMF, la branche généraliste de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), appelle ainsi les praticiens à fermer leur cabinet du 24 au 31 décembre. Pas seulement à cause du projet de confier des vaccinations aux pharmaciens. Mais c’est tout de même l’une des raisons invoquées pour justifier leur mouvement de grève, avec la mise en place d’un service territorial de santé au public dirigé par les ARS, ou encore le blocage du tarif de la consultation à 23 euros depuis 2011. MG-France, premier syndicat de la profession, n’est pas non plus très favorable à la vaccination en officine. Car pour son président, Claude Leicher, cela ne consiste « pas seulement à planter une aiguille, c’est aussi une discussion avec les patients sur les indications ou contre-indications et sur la nécessité de faire un rappel ».
Le chemin risque donc d’être long avant de voir des pharmaciens injecter des vaccins. Il faudra convaincre les infirmières et les médecins du bien fondé d’une telle mesure. Mais aussi les officinaux qui semblent, pour l’heure, assez réservés sur cette possible nouvelle mission.
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