Tout juste publié au « Journal officiel », l'arrêté instituant les nouvelles règles du non substituable (NS) serait-il déjà promis aux oubliettes ? Perçue comme une nouvelle « dérive bureaucratique », la mesure fait bondir les syndicats de médecins qui appellent d'ores et déjà à son boycott. À partir du 1er janvier 2020, les prescripteurs ne pourront plus apposer la mention NS sur une ordonnance sans la justifier par l'une des trois situations suivantes : médicament à marge thérapeutique étroite chez un patient stabilisé, patient de moins de 6 ans quand aucun générique n'a une forme galénique adaptée, ou contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire (lire ci-dessous).
« Nous demanderons aux confrères de ne pas l'appliquer, prévient d'emblée le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat les Généralistes-CSMF. Cela ne ferait qu'allonger le temps de consultation et nous compliquer la vie. Si une caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) me demande des justifications sur une "contre-indication formelle", quelles preuves dois-je fournir ? Des comptes rendus d'observation ? Un avis d'allergologue ? », questionne-t-il. Pour Luc Duquesnel, « c'est au pharmacien de se débrouiller avec le patient » sur ce sujet. Il prédit une opposition massive de ses confrères à ces nouvelles règles qui, de plus, « ne respectent pas le secret médical » selon lui. Quelques heures après la parution de l'arrêté, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) avait officiellement appelé les médecins à ne pas entrer dans cette « mécanique ». La CSMF estime que cette mesure ira tout simplement « à l'encontre de l'objectif poursuivi et ne favorisera pas l'utilisation des médicaments génériques ».
Une opposition totale chez les médecins
Sur le site Internet du « Quotidien du médecin », d'autres praticiens ne cachent pas, eux non plus, leurs doutes quant à la pertinence de la mesure. « Et pour les patients âgés avec des troubles visuels ou qui ont des difficultés à lire, comment faire ? Demander à une infirmière de passer chaque semaine ? Où est l'économie ? », s'interroge Gilles, médecin. D'autres avouent sans difficulté qu'ils contournent déjà la règle. « J’ai remplacé la mention NS par la mention "médicament payé par le patient et remboursé ensuite par la Sécu", affirme un confrère. En cas de médicament coûteux, le patient se débrouille pour avoir une ordonnance hospitalière s'il ne peut pas prendre le générique. »
Président du syndicat MG France, le Dr Jacques Battistoni n'exclut pas, lui non plus, la possibilité d'inciter ses confrères à ne pas appliquer la mesure. « Pour les médicaments à marge thérapeutique étroite (MTE), il n'y a rien à redire, mais la notion de contre-indication "formelle et démontrée" est beaucoup plus problématique. Il y a une grande différence entre ce que les patients nous rapportent et le fait de documenter précisément un effet notoire. » Quant à la nécessité de nouvelles mesures visant à renforcer le générique en France, Jacques Battistoni se dit réservé. Il reste plutôt convaincu que « le temps finira par jouer en faveur des génériques ». Selon l'assurance-maladie, le taux de recours au NS en 2018 s'élevait à 7,7 %.
Vers la fin du NS ?
Côté pharmaciens, les réactions sont mitigées. « La liste des cas justifiant l’utilisation du non substituable (NS) semble pertinente. Mais j’entends aussi les remarques de prescripteurs qui soulignent un manque de souplesse puisque rien n’est prévu pour le patient dont le médecin sait qu’il ne va pas adhérer au générique. En cela, à l’exception de l’obligation d’apposer la mention non substituable à la main, le système qui prévalait jusqu’à présent était préférable », estime Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Pour Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), le texte paru mardi au « Journal officiel » est plutôt une bonne surprise comparé aux versions présentées lors de consultations précédentes et qui lui paraissaient trop floues. Il considère l’utilisation par le médecin de la mention NS chez les patients sous médicament à marge thérapeutique étroite (MTE) qui sont stabilisés comme justifiée. Cette mention est cohérente avec la possibilité, prévue au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2020, pour le pharmacien d'apposer de lui-même cette mention lorsque le médecin ne l’a pas inscrite sur l’ordonnance. Sur ce point, Philippe Besset aurait apprécié que les deux cas d’utilisation de la mention NS par le pharmacien – pour la délivrance d’un MTE et en cas de rupture de stock – figurent dans cet arrêté. Mais, inscrites dans le PLFSS 2020, elles ne pouvaient être incluses alors que le texte est en cours d’examen.
Secret médical
En revanche, Gilles Bonnefond s’interroge sur l’utilisation de la mention NS chez un patient de moins de 6 ans pour lequel les formes génériques ne sont pas adaptées. « J’ai beau chercher, je ne trouve aucun médicament pouvant répondre à ces critères », indique-t-il. Quant au 3e cas listé dans l’arrêté, la contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire présent dans tous les génériques mais pas dans le princeps, cela va obliger les médecins à vérifier la composition précise des médicaments. Par ailleurs, précise-t-il, justifier la mention NS par l'une des trois situations prévues, ne constitue pas une entorse au secret médical, contrairement à ce que prétendent certains médecins.
Néanmoins, Gilles Bonnefond rappelle qu’il reste opposé à l’ensemble de l’article 66 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2019 dont sont issues les nouvelles règles d’utilisation du non substituable. « Remettre le couvert sur le NS alors que les pharmaciens substituent à plus de 90 % est inutile », martèle-t-il. La solution passerait-elle par la suppression pure et simple de cette mention NS, comme l’avait proposé en son temps le syndicat MG France ?
Comme l'analyse Philippe Besset, cela pourrait être une voie à étudier, mais la parution de cette liste des cas de non-substitution très précisément décrits ne signe-t-elle déjà pas la fin du NS ? Gilles Bonnefond pour sa part se montre favorable à une suppression pure et simple, « comme c’est déjà le cas dans certains départements* où les médecins se sont mis d’accord pour ne plus utiliser cette mention. C’est un gain de temps pour les prescripteurs qui laissent le pharmacien gérer la meilleure dispensation pour le patient ».Entre le rejet quasi unanime des médecins et les sérieux doutes des pharmaciens, l'avenir de cette NS nouvelle version semble déjà compromis.
* Selon Gilles Bonnefond, il s’agit des départements suivants : Alpes-Maritimes, Loire-Atlantique, Tarn, Var et Vaucluse.
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