MANIFESTATIONS, cris de détresse sur les réseaux sociaux, lettres ouvertes aux élus, les pharmaciens ne savent plus quels leviers actionner pour provoquer le retour d’un médecin généraliste dans leur commune. Ces coups médiatiques révèlent l’urgence d’une réalité. Que ce soit dans le Morvan (« le Quotidien » du 12 février), en Alsace (voir ci-dessous), en Bretagne, ou encore dans les Alpes, l’absence de médecins entraîne le désarroi de la population, pharmacien en tête. « Cette pénurie touche l’ensemble de l’Hexagone à l’exception des régions littorales et de Paris », note Albin Dumas, président de l’Association de pharmacie rurale (APR). Cette « disette » est d’autant plus alarmante qu’elle sera accrue par le prochain papy-boom, les médecins généralistes de plus de 60 ans représentant 25,6 % des effectifs*.
Non aux gadgets.
Grâce à la hausse du numerus clausus, la tension démographique devrait se relâcher dans sept ou huit ans. À condition que les jeunes diplômés soient sensibles aux mesures incitatives à l’installation. D’ici là, les pharmaciens s’activent pour trouver des solutions. Une démarche intéressée puisque leur activité dépend de la présence d’un prescripteur. Mais pas seulement. La désertion des médecins pose un réel problème de santé publique. « Il ne se passe pas une journée sans qu’un patient me dise regretter le généraliste. Il faut attendre cinq jours pour obtenir un rendez-vous dans le bourg voisin », déplore Guy Christelle, titulaire à Pure, dans les Ardennes.
Confrontés à ces déserts médicaux, les pharmaciens prennent leur place d’acteur de santé, quitte à peser sur les politiques de recrutement. Nombre d’entre eux critiquent d’ailleurs les méthodes des pouvoirs publics (ARS, communautés de communes…) qui, s’inspirant du secteur privé, font appel à des chasseurs de tête. « Du gadget ! » dénonce Albin Dumas, pour lequel l’installation en milieu rural ne s’improvise pas. « Elle concerne tous les aspects de la vie du médecin, professionnelle comme privée, et demande un engagement dans la durée », précise-t-il.
Sens de l’accueil.
Certains pharmaciens ont fait les frais de cette politique volontariste. Suite au départ de l’un des trois médecins de sa commune, Maryse Garenaux a dû participer financièrement (plus de 7 000 euros) à l’emménagement d’une généraliste roumaine. « Nous n’avions pas le choix », se souvient cette titulaire de Plumeliau, dans le Morbihan. Au bout d’un an, la candidate disparaît de la commune en laissant pour seule succession une parente, elle-même médecin. Une nouvelle fois, la pharmacienne s’investit. Elle initie la nouvelle généraliste roumaine, ainsi qu’un autre médecin roumain, aux dispositifs médicaux, aux accessoires, et aux méandres de l’administration française. Avec succès, puisqu’aujourd’hui, ces médecins d’origine étrangère sont intégrés à la commune bretonne.
Conscients que les opérations séduction ne suffisent pas, les pharmaciens ont à cœur de créer des dispositifs durables. Xavier Nicolas, pharmacien et vice-président du Conseil général d’Eure-et-Loir, a mis en place avec la participation du doyen de la faculté de médecine de Tours, de l’Ordre des médecins et de l’ensemble des professionnels de santé, un programme d’immersion d’internes en médecine. Grâce à un réseau d’une soixantaine de maîtres de stage, 20 à 25 internes sont accueillis en permanence, dans diverses structures de soin du département. « Notre but est de créer du lien, qu’ils découvrent le bien vivre en Eure-et-Loir et qu’ils aient envie de s’y installer », décrit le pharmacien, qui souhaite ainsi « retenir au moins un tiers de ces jeunes ».
Option pôle de santé.
La solution peut aussi passer par la création d’un pôle de santé, afin d’attirer des médecins dans des zones désertées. C’est la solution adoptée à Chindrieux (Rhône-Alpes), à l’initiative de Nathalie Lalegerie, pharmacien adjoint dans l’officine de la commune. « Lorsque le médecin de Chindrieux a pris sa retraite, aucun de ses remplaçants n’a voulu reprendre son exercice malgré un énorme besoin. Nous avons alors choisi de créer un pôle de santé afin d’attirer de nouveaux praticiens », explique Nathalie Lalegerie, qui est gérante du SISA/pôle de santé de Chautagne. Toutefois, la commune de Chindrieux, au bord du lac du Bourget, est une zone attrayante : « faire venir des médecins dans une zone rurale très reculée aurait sans doute été plus difficile », reconnaît la pharmacienne. Par ailleurs, la création d’un pôle de santé n’est pas une mince affaire : « il faut déposer un dossier auprès de l’ARS, définir des protocoles de soins entre les professionnels de santé, assurer la continuité des soins du lundi matin au samedi midi, s’engager à être maître de stage, avoir un secrétariat commun, etc. ». Une fois ces impératifs remplis, le projet peut espérer obtenir une subvention de l’ARS.
Le pôle de Chautagne a non seulement permis d’attirer un jeune médecin, mais il a aussi beaucoup rapproché les professionnels de santé : « les médecins, kinés, infirmières, pharmaciens, sages-femmes ont participé à divers groupes de travail, sur les AVK, la lombalgie chronique, les pansements et la cicatrisation, ce qui permet certains aboutissements. Ainsi, grâce au pôle, nous avons notamment mis en place une délégation de tâche en cas de cystite non compliquée, qui permet aux pharmaciens de délivrer un antibiotique lorsque le médecin n’est pas disponible ».
On le voit, la désertification médicale n’est pas une fatalité et de nombreuses pistes pour en sortir existent.
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