C’est en 2000 que Robert M. Berman, un psychiatre de l’université Yale, a montré que la kétamine, un dérivé de la phencyclidine antagoniste NMDA (N-methyl-D-aspartic acid) connu de longue date pour son usage en anesthésiologie (au prix d’effets psychotomimétiques avec possibles hallucinations), comme drogue récréative et comme drogue de « soumission chimique », induisait après administration IV à une dose subanesthésique (0,5 mg/kg sur 40 minutes) une amélioration particulièrement rapide (2 heures !) de l’humeur déprimée, prolongée quelques jours en général mais parfois plusieurs semaines. Cet effet a été confirmé depuis 2006 et les premières investigations cliniques de Carlos A. Zarate à Washington par des études portant sur la dépression unipolaire comme sur la dépression bipolaire - et ce y compris dans les présentations résistantes des troubles de l’humeur -.
Un effet inhibiteur NMDA
Complexe, le mécanisme expliquant l’action de la kétamine en psychiatrie n’a été élucidé que tout récemment. Son isomère S (eskétamine) a en effet une affinité antagoniste supérieure à celle de l’isomère R sur le récepteur NMDA (exprimé sur les neurones GABAergiques) mais son action est pourtant moins évidente en clinique ; de plus, des inhibiteurs NMDA plus puissants que la kétamine n’exercent pas d’activité antidépressive. Dans ce contexte, on a compris que le métabolisme jouait un rôle pivot dans l’action de la kétamine : elle dépend en fait d’un métabolite, l’hydroxynorkétamine (HNK) qui ne cible pas le récepteur NMDA mais favorise l’expression du récepteur neuronal transmembranaire de l’AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazole propionic acid, un acide voisin de l’acide glutamique) dont la stimulation serait à l’origine de l’effet antidépresseur.
Des essais cliniques nombreux visent désormais à définir les modalités d’utilisation de la kétamine en psychiatrie : il s’agit de valider son administration par des voies plus acceptables en routine que la voie IV (voies IM, SC, orale, rectale, nasale) et d’envisager son usage dans le cadre d’un traitement régulier. Un domaine retient particulièrement l’attention : la prévention du risque suicidaire. En effet, les options de traitement chez les patients présentant un risque élevé de suicide relèvent avant tout du traitement antidépresseur sous surveillance hospitalière, de l’électroconvulsivothérapie (ECT), de la psychothérapie ou de combinaisons entre ces options. Le délai avant l’amélioration étant long, au mieux d’une semaine pour l’ECT et de 2 à 3 pour les antidépresseurs, l’action très rapide de la kétamine constitue une alternative nouvelle donnant lieu à de nombreux travaux et à controverse, compte tenu de la iatrogénie potentiellement associée à son usage.
Alcool et vitamine C : une action voisine de la kétamine ?
Les travaux sur la kétamine ont des conséquences dans d’autres domaines de la pharmacologie. Ainsi, une étude conduite par Kimberly G. Raab-Graham, professeur de pharmacologie à la faculté de médecine de Wake Forest (Caroline du Nord), a expliqué l’action antidépressive rapide mais fugace de l’alcool en montrant qu’il induit des modifications neurobiologiques de même type que celles observées lors de la prise de kétamine. Cette étude ne doit cependant pas laisser à penser que l’alcool constituerait un traitement antidépresseur d’action rapide pertinent : elle souligne au contraire le risque qu’il soit détourné comme une automédication de la dépression, conduisant à un risque élevé d’addiction.
Plus étonnant peut-être : des travaux ayant suggéré il y a près de 40 ans que l’acide ascorbique (vitamine C) avait une action antidépressive trouvent une actualité nouvelle à la faveur des recherches sur la kétamine. Des études précliniques publiées cet été ont en effet montré qu’il agirait sur les récepteurs GABAergiques et contribuerait à moduler la balance entre les circuits inhibiteurs (médiés par le GABA) et excitateurs (médiés par le glutamate).
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