Hors activités liées au Covid, tout ce qui relève des nouvelles missions « ne se voit quasiment pas sur le compte de résultat », remarque Philippe Becker, consultant du département pharmacie de Fiducial. Pour autant, d’après le bilan livré par les experts-comptables, les pharmacies qui se sont investies dans les nouvelles missions sont celles qui « s’en sortent bien, insiste Gilles Bonnefond*, ancien président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Il y a non seulement le dépistage et la vaccination, mais aussi l’accompagnement des patients. C’est de la valeur ajoutée et ce sont des facteurs de croissance qui sont rémunérés, pas assez bien rémunérés mais quand même rémunérés, ce qui apporte de la marge et améliore l’EBE. »
Selon l’enquête de Call Médi Call** pour « Le Quotidien » (voir page 27), près des trois quarts des pharmacies se sont engagées dans les nouvelles missions ou comptent le faire prochainement et 45 % les jugent à même de modifier avantageusement le modèle économique de l’officine (39 % se montrent sceptiques). Quant aux missions à développer en priorité, les pharmaciens citent en premier lieu les tests et dépistages (38 %) suivis de la vaccination (25 %) et de la téléconsultation à l’officine (11 %). Des résultats qui confortent Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, en amont des négociations conventionnelles sur le volet économique qui doivent commencer dans quelques semaines avec l’assurance-maladie.
Oser se lancer
« Il y aura deux objets dans les négociations : l’inflation à corriger sur notre cœur de métier qu’est véritablement la dispensation et les nouvelles missions. » Et concernant ces dernières, le président de l’USPO souhaite une véritable évolution. Jetant un regard en arrière sur les premiers accompagnements mis en place, que ce soit pour les patients asthmatiques, ceux sous anticoagulants (AOD/AVK) ou les bilans partagés de médication (BPM), Pierre-Olivier Variot les juge « beaucoup trop académiques, beaucoup trop calqués sur l’étude de l’ordonnance de 6e année ». Le recul aidant, il estime que la valeur ajoutée du pharmacien est de savoir écouter « le patient qui nous parle de sa vie avec le traitement » et que c’est bien cet aspect qui doit être priorisé dans les accompagnements pharmaceutiques. Reste qu’il faut se lancer, puis multiplier les entretiens. « Plus on fait de bilans, plus on prend l’habitude, et moins cela nous demande de temps. La difficulté n’est pas dans l’entretien pharmaceutique, la difficulté c’est d’oser se lancer », résume le président de l’USPO. C’est dans ce sens, d’ailleurs, que le syndicat a proposé à ses adhérents un Webinaire consacré aux entretiens asthme en juillet dernier (disponible en replay) sous la forme d’un cas pratique entre un pharmacien et un patient.
Mais il s’agit maintenant de se projeter vers l’avenir et Pierre-Olivier Variot compte sur de nouvelles missions moins chronophages. « On parle de nouvelles missions mais ce seront pour partie des missions que l’on fait déjà et pour lesquelles nous devons être rémunérés. C’est le cas des interventions pharmaceutiques qui font partie de notre cœur de métier mais qui restent invisibles parce qu’on ne les objective pas. Cela va changer avec la e-prescription, elles seront objectivées et nous seront rémunérées pour ces interventions. » À cela il ajoute une mission d’orientation des patients sur le modèle du programme OSyS, tel qu’il a vu le jour en Bretagne et qui se poursuit au 1er janvier prochain dans trois nouvelles régions. Même s’il regrette que le succès rencontré n’ait pas permis de passer à une généralisation du dispositif plutôt qu’une extension de l’expérimentation.
Ligne rouge
Une troisième catégorie de missions, celle des accompagnements, va s’étoffer lors des négociations conventionnelles à venir. Ainsi, un entretien pharmaceutique pour les patients sous opioïdes est en cours de finalisation. « Il y a des mésusages et aussi une certaine dépendance à ces médicaments à base de tramadol ou de codéine, il faut qu’on accompagne ces patients-là. Cela prendra la forme d’un entretien court au comptoir, sur le même format que l’entretien femme enceinte, à réaliser dès le premier renouvellement d’un traitement opioïde. » D’autres accompagnements sont en cours d’élaboration, tel que l’entretien pour le dépistage et la prise en charge du risque cardiovasculaire. Et l’USPO a déjà des idées pour la suite, toujours sur le format d’entretiens courts, qui pourraient toucher au diabète, à l’ostéoporose, ou encore à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).
Si les évolutions métier envisagées ne posent pas de problème entre l’assurance-maladie et les pharmaciens, l’USPO prévient qu’elle sera très attentive aux financements des nouvelles missions. « Il y a une ligne rouge à ne pas franchir. On ne financera pas les nouvelles missions en faisant la poche des pharmaciens par un autre biais. Autrement dit, on ne veut pas de la proposition de la mission Borne qui imagine financer les nouvelles missions en prenant sur la remise génériques. » Une proposition que ses auteurs souhaitaient voir apparaître dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, que les syndicats avaient interprété comme « une déclaration de guerre » et qui est, pour le moment, restée lettre morte. Mais l’idée n’a pas pour autant été écartée, la vigilance reste donc de mise.
* Membre de la Chambre nationale des professions libérales (CNPL) et responsable des professions libérales au sein de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), il est aussi membre désigné par la CPME au conseil de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).
** Réalisée du 30 juin au 1er septembre 2023 auprès de 1 026 pharmacies.
A la Une
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Portrait
Jérémie Kneubuhl : le pharmacien aux 50 millions de clics
Médication familiale
Baisses des prescriptions : le conseil du pharmacien prend le relais