Le Quotidien du pharmacien. - Chaque année, environ 200 croix vertes s’éteignent, quel est selon vous l’impact de cette situation inquiétante ?
Philippe Becker. - Selon les dernières données connues et publiées par l’Ordre des pharmaciens portant sur l’année 2019, 219 pharmacies ont fermé cette même année. Grâce à une information portant sur les caractéristiques de ces pharmacies, nous avons pu reconstituer le profil moyen d’une officine disparue en 2019 : elle réalisait un CA HT moyen annuel de 815 000 euros et, selon nos statistiques Fiducial, elle dégageait une marge brute égale à 31 % du CA HT, soit en valeur absolue 253 000 euros/an. Si l’on raisonne en année pleine, l’impact moyen annuel est donc un report sur les 20 736 pharmacies restantes de 815 000 euros x 219 égal à 178 millions d’euros !
Cela veut donc dire qu’une partie de la croissance annuelle des pharmacies est liée à ces fermetures.
Christian Nouvel. - Oui et c’est bien pour cela que l’on parle de restructuration du réseau officinal ! Poursuivons le raisonnement : en 2019, il reste 20 736 pharmacies actives qui réalisaient en moyenne un CA HT proche de 1,6 million d’euros ce qui au global représente un CA HT de 33 177 millions d’euros. Rapprochons les 178 millions d’euros liés aux fermetures aux 33 177 millions d’euros réalisés par le réseau et nous constatons une incidence positive de 0,5 % pour l’activité des pharmacies restant actives. C’est un quart de la progression que nous avons noté en 2019 dans notre étude Fiducial.
Avez-vous pu déterminer l’incidence sur la marge brute ?
Philippe Becker. - Toujours avec la même logique, nous estimons que 100 % de la marge brute va se répartir sur les officines voisines car les patients continuent à être malades et à se soigner même si leur pharmacie n’existe plus ! La marge brute annuelle estimée à 253 000 euros de nos pharmacies disparues va donc globalement bénéficier au réseau à hauteur de 253 000 euros x 219, soit 55 millions d’euros. On arrive à un chiffre de 2 650 euros de marge brute supplémentaire par pharmacie. Ce chiffre est à rapprocher de la progression de la marge brute que nous avions constatée en 2019 sur notre panel qui était de 8 000 euros. Chacun comprend bien que l’on ne peut pas passer à côté de ces éléments chiffrés pour évaluer les politiques de santé concernant les officines françaises.
Doit-on comprendre que ce phénomène est inexorable et même qu’il pourrait prendre de l’ampleur dans les prochaines années ?
Christian Nouvel. - L’examen de la situation sur les dix dernières années n’inspire pas confiance. Toujours selon les données publiées par l’Ordre, 1 625 pharmacies ont fermé pour des raisons variées, soit une baisse de 7,3 % et ce dans un contexte où il n’y a plus de créations. Si la tendance se poursuit, on passera la barre des 20 000 officines fin 2023 ! L’amplitude va dépendre de beaucoup de facteurs.
Justement selon vous, quelles sont les causes principales de la disparition des officines ?
Philippe Becker. - Les données précises fournies par l’Ordre montrent que les trois quarts des pharmacies qui disparaissent réalisent un CA inférieur à 1 million d’euros. Il s’agit pour la plupart d’entre elles d'une fragilité à mettre en relation avec un mauvais emplacement ou à la désertification médicale, voire les deux. On observe aussi un phénomène de rationalisation dans les centres-villes où le surnombre d’officines n’a plus de sens économiquement. En fait, les disparitions pour mauvaise gestion sont très faibles (8 % des pharmacies en liquidation en 2019). Tout cela se traduit par des officines en déclin qui deviennent invendables ! Dans ce cas, la seule solution est de faire un regroupement avec des confrères ou plus prosaïquement vendre la clientèle à un prix bradé à son voisin, s’il est bien disposé, et rendre la licence…
Selon vous, pourrait-on éviter de telles fermetures d’officines et comment ?
Christian Nouvel. - Question difficile car nous avons le sentiment que les pouvoirs publics se satisfont de l’attrition du réseau officinal qui génère des pharmacies plus grosses donc par nature plus résistantes aux mesures touchant la rémunération des pharmaciens. Au-delà des discours politiques qui mettent en avant la qualité du réseau officinal, nous verrons apparaître de plus en plus de trous dans la raquette dans certaines régions.
Philippe Becker. - On doit aussi considérer que les pouvoirs publics ne veulent plus subventionner de manière générale les entreprises dites « zombies » qui sont déficitaires par nature, même si la crise sanitaire actuelle les oblige à le faire. C’est d’ailleurs le paradoxe de la situation que nous vivons où la proximité du réseau est appréciée mais pas valorisée.
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