D’aucuns nous dirons que la mobilisation sans précédent et la grève historique des pharmaciens, soutenue par des millions de patients, aura sauvé les trois piliers de l’officine garants de la santé publique… pour le moment.
L’officine n’en aura pourtant pas moins, depuis un an, subi des assauts répétés, insidieux, délétères. Une nouvelle loi de financement de la Sécurité sociale qui aura de nouveau privilégié le médicament, et en particulier le dernier maillon de la chaîne, comme variable d’ajustement. Recette d’énarques et ministres entêtés, employée chaque année, et dont on sait les résultats qu’elle donne sur le rééquilibrage des comptes sociaux. Une nouvelle rémunération qui devait sauver la profession : artifice d’un honoraire de dispensation, maquillage pur et dur d’un forfait à la boîte déjà existant, connecté par nature à des volumes en perpétuel déclin, mesquinerie infamante d’un honoraire de dispensation pour ordonnance complexe, renvoyant la valeur de l’acte intellectuel pharmaceutique à quelques ridicules centimes d’euros. Honoraires synonymes de mécontentement des patients attisé par des associations de consommateurs toujours bien intentionnées à notre égard, et de risée parmi les autres professionnels de santé y voyant le pitoyable mépris pour tout le corps médical et paramédical. Nouvelle rémunération aux bénéfices prétendus sitôt annulés par des baisses de prix massives tant sur les princeps que sur les médicaments génériques.
Au ministère de la Santé on connaît parfaitement le système des vases communicants, ou plutôt non, celui des vases aspirants. Des tranches de prix avec des marges nulles, comme si le pharmacien pouvait vivre de l’air du temps. Des entretiens pharmaceutiques payés à 365 jours fin de décennie ou aux critères d’inclusion fumeux. Des vignettes qui disparaissent pour être sitôt remplacées par une usine à gaz. Et voilà en prime le piège du tout générique qui se referme sur la profession. L’obligation du tiers payant contre générique, sous peine de non-paiement des factures, montre alors son but ultime, que beaucoup avaient pourtant vu venir. Une fois les taux de substitution hauts obtenus, une fois le pharmacien obligé de délivrer du tout générique, il ne restait plus qu’à l’étrangler par des baisses de prix massives sans qu’il puisse protester puisque la profession elle-même a approuvé la construction de la chausse-trape sous ses pieds.
Résultat, depuis début 2015, des millions d’euros de perte de marge pour l’ensemble du réseau officinal.
Que font nos représentants « officiels », direz-vous ? Ils se tirent la bourre, rivalisant de télécopies et communiqués de presse, plutôt que rivalisant d’idées d’actions pour faire connaître haut et fort le drame de la profession. Pendant cette joyeuse récréation, le nombre de pharmacies exsangues décuple, des confrères sombrent, aussi bien financièrement que psychologiquement, attendant un soutien des institutions représentatives… bernique !
L’objectif des gouvernements successifs se réalise, avec une brutalité jamais envisagée. Les milliers d’officines désignées comme bonnes à supprimer sont en passe de disparaître, étouffées par le boa constrictor gouvernemental, des femmes et des hommes qui avaient voué leur métier au service de la collectivité, ruinés, étranglés par celle-là même qu’ils avaient décidé de servir. Plus de 5 000 officines se trouveraient en situation précaire, dont une partie non négligeable menacée de fermeture. Peu importe l’intérêt des patients.
Alors que tous, la profession, l’Ordre jamais avare de nouvelles contraintes à la base louables mais financièrement de plus en plus difficiles à tenir, les ARS et les syndicats, veulent un recentrage de la rémunération sur le cœur de métier de pharmacien, les moins impactés se lancent dans une guerre de prix sur la parapharmacie et l’OTC, s’engouffrent dans la vente en ligne, cheval de Troie de la grande distribution, espérant gagner de nouvelles parts de marché, donnant une image mercantile délétère de la profession, véritable course à l’échalote qui n’a pour effet que d’étouffer un peu plus la pharmacie de proximité, et de tronçonner la branche sur laquelle eux-mêmes sont assis.
Que faire ?
Une mobilisation d’ampleur serait nécessaire, salutaire. La perte potentielle du monopole, ressentie comme une menace collective, avait cristallisé l’union de toute la profession, débordant même, soyons honnêtes, les organisations syndicales, dépassées par une solidarité et une capacité à s’organiser sans commune mesure.
La bérézina économique est plus ressentie comme individuelle, chacun constatant son triste sort, sans forcément connaître celui de son confrère voisin. Le mécontentement, la détresse s’en trouvent plus difficiles à mutualiser.
L’union fait la force. Le gouvernement compte sur la désunion légendaire des officinaux. Le tocsin sonne à toute volée, les syndicats « représentatifs » ne l’entendent pas. La maison est en flammes, ils se disputent l’extincteur qu’ils n’ont jamais su remplir…
Quel espoir ?
Une nouvelle entité représentative permettant à la majorité de se détourner d’un système à l’évidence déconnecté et à bout de souffle et mettre un terme à des pseudos négociations et à l’antienne de la théorie du moins pire ? Pourquoi pas ?
Les attentes des consœurs et confrères sont simples et dotées de bon sens :
- maintien d’une marge de nature à garantir la sauvegarde du réseau officinal actuel, annulation de la marge à zéro sur les médicaments techniques onéreux, maintien définitif et pérenne de la rémunération sur objectif liée à la substitution générique, simplification de son calcul et correction des taux de substitution en fonction du « non substituable », prix génériques planchers permettant le maintien de la rémunération et des taux de remise actuels, maintien des trois taux de remboursement actuels sans déremboursements conformément aux engagements de Marisol Touraine ;
- création d’honoraires techniques immédiatement exigibles par lettres clés (appel au médecin, rajout ou modification de posologie, refus de délivrance motivé, émission d’une opinion pharmaceutique, délivrance de stupéfiants, d’ordonnances d’exception…)
- paiement sous 7 jours des entretiens pharmaceutiques par lettre clé et suppression de critères d’inclusion fantasques ;
- droit de prescription d’urgence pour des pathologies déterminées, les week-ends et jours fériés ou en cas d’absence du médecin traitant. Droit qui concourrait à désengorger les services d’urgence et à limiter leur coût ;
- rémunération de la préparation des doses à administrer et interdiction de leur réalisation à perte ou sans marge minimale ;
- extension rémunérée des tests de diagnostics rapides à l’officine, rémunération des prises de tension artérielle et de la glycémie capillaire…
- légalisation de la rétrocession entre confrères ;
- sortie de l’officine de la loi LME et rétablissement de la liberté des délais de paiement, l’officine exsangue n’ayant pas vocation à améliorer la trésorerie de l’industrie…
Gardons l’espoir que la profession puisse reproduire un 30 septembre, elle doit trouver les moyens de s’organiser pour cela, quitte à balayer les vieux modèles.
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