Le Quotidien du pharmacien. - Quatre mois d'intenses négociations entre les syndicats de la profession et l'assurance-maladie se sont conclus mercredi par la signature d'une nouvelle convention pharmaceutique. Quelles en sont les avancées les plus marquantes ?
Thomas Fatôme. - Je me réjouis que nous ayons effectivement bien travaillé avec les représentants des pharmaciens sur une période relativement courte. Nous sommes parvenus à établir un dialogue à la fois riche et efficace car nous avons rapidement décidé des sujets dont nous voulions parler dans cette convention et de ceux que nous souhaitions réserver pour l’avenir. Cette discussion approfondie et constructive a permis de définir des évolutions du métier de pharmacien renforçant ainsi son rôle central dans le système de santé, confirmé lors de la crise sanitaire.
La clé de la réussite de cette convention a été la capacité des acteurs autour de la table d'être ambitieux immédiatement et de se fixer un programme de travail pour la suite. Nous avons donc eu, avec les deux syndicats mais aussi avec l'UNOCAM* lors de cette première phase courte, une programmation de travail ambitieuse qui débouche sur un texte avec des avancées pour la profession qui devrait garantir un meilleur accès à des soins de qualité pour nos assurés.
C'est aussi un texte qui se situe dans un contexte particulier de crise sanitaire. Cette dernière a mis en avant l'investissement des pharmaciens qui ont démontré leur capacité à être des acteurs des politiques de prévention, notamment dans la vaccination et le dépistage. Dans la continuité de cette crise, l’élargissement des compétences et des missions est un point essentiel de cette nouvelle convention. Nous avons donc voulu consolider ce rôle avec le rappel vaccinal, la remise de kits pour le dépistage du cancer colorectal ou encore la détection de la cystite. Toute une série de sujets sur lesquels nous pensons que les pharmaciens, de par leurs compétences et leur maillage territorial, peuvent être des relais des politiques de santé publique que nous menons.
Ce n’est par ailleurs que le début. Pour garantir le succès de cette nouvelle convention, il conviendra d’accompagner l’ensemble de la profession pour qu’elle s’empare des évolutions comprises dans cette nouvelle convention qui redéfinit le rôle du pharmacien, acteur de santé publique.
Au-delà de vaccination et du dépistage, la convention comprend d'autres axes d'évolution pour la profession.
En effet, le deuxième axe prioritaire pour nous est le parcours de soins du patient, avec une consolidation en matière d’assistance à la téléconsultation, la reconnaissance du rôle du pharmacien correspondant ou encore la dispensation des produits de santé à domicile… Il s'agit de premières étapes qui auront vocation à être à la fois évaluées et potentiellement consolidées dans les prochaines années.
Enfin, le troisième élément de cette convention est la brique numérique. Les pharmaciens sont historiquement des acteurs importants pour la diffusion des outils numériques. Aujourd'hui, nous souhaitons vivre une nouvelle révolution comme cela a été le cas il y a vingt-cinq ans avec la carte Vitale, avec le numérique en santé, avec « Mon espace santé », avec la e prescription. En ce sens, la convention met en place des objectifs ambitieux en matière d’équipements et d’usage de ces nouveaux outils numériques ainsi que des incitations financières. Nous pensons par ces dispositifs accompagner les pharmaciens à prendre le virage numérique.
En plus des missions, les plus marquantes, la convention confirme le rôle du pharmacien dans ses missions de conseil en matière de prévention avec la mise en œuvre d’un accompagnement destiné à sensibiliser les femmes enceintes à la prise de médicaments pendant la grossesse afin de réduire les risques tératogènes. Cette convention renforce également la place du pharmacien dans le cadre de la juste dispensation des produits de santé. Est ainsi créée une rémunération sur objectifs de santé publique pour le bon usage des produits de santé. Celle-ci doit permettre de garantir une qualité de la pratique pharmaceutique, en incitant notamment le pharmacien à adhérer à la « démarche qualité » développée par la profession, tout en assurant la juste délivrance des produits de santé notamment des médicaments génériques.
Nous avons donc une convention très ambitieuse qui se fixe des chantiers pour l'avenir avec des prochaines discussions qui auront lieu au deuxième semestre 2023.
Quelles sont, selon vous, les missions essentielles qui seront confiées aux pharmaciens ?
Il s'agit d'une consécration d'un certain nombre d'évolutions qui étaient en germe et que la crise est venue sans doute accélérer. Tout le monde se souvient du temps qu'il a fallu pour que les pharmaciens vaccinent contre la grippe et là, en quelques mois, ils sont devenus des acteurs majeurs de la vaccination contre le Covid et dans cette convention, en mars 2022, on reconnaît leur rôle sur toute une série d'autres vaccinations. C'est la même chose pour le dépistage du cancer colorectal car notre objectif est d'accompagner davantage les assurés dans le recours à ce test et là, clairement, le maillage des officines est un atout.
Entendez-vous les objections des syndicats qui remarquent que la sécurisation de la dispensation des médicaments chers est difficile à assurer dans les conditions de l’exercice officinal ?
L'objectif est assez simple. Un pharmacien qui délivre un médicament coûteux, parfois de plusieurs milliers d'euros, doit pouvoir s'assurer que, derrière, il y a une prescription et qu'il y a bien un besoin de soins. Dans l’immense majorité des cas, c'est bien évidemment ce qui se passe. Il n'est pas question pour des pharmaciens qui connaissent bien leurs patients chroniques de faire des démarches administratives superflues.
Cependant l’assurance-maladie est confrontée très régulièrement à des cas de fraude. Par exemple, pas plus tard qu'il y a un mois, dans le département de l'Hérault, l'assurance-maladie a dû porter plainte, ce qui a amené à la garde à vue d'un assuré qui s'était vu délivrer des boîtes pour un anticancéreux de plusieurs milliers d'euros avec une ordonnance frauduleuse. Des cas comme celui-là, nous y sommes confrontés tous les mois. Je pense que du côté des pharmaciens il y a une véritable adhésion au principe qui est de vérifier la réalité et la qualité de la prescription. Nous avons prévu dans le texte conventionnel d'approfondir les modalités avec les pharmaciens, avec les associations de patients, et avec les médecins pour trouver le bon mode d'emploi. Nous nous sommes concentrés sur les médicaments les plus onéreux et donc cela devrait représenter peu de situations, en moyenne moins d’une délivrance par semaine et par officine.
L'e-prescription ne pourrait-elle pas être une solution ?
Tout à fait, l'e-prescription est la réponse structurelle à ce sujet-là. Mais l'obligation de l'e-prescription ne se fera pas avant 2025. On sait aussi qu'elle sera tout d'abord déployée en ville, or la plupart des médicaments onéreux sont des médicaments hospitaliers. Aussi, nous souhaitons être dès aujourd’hui plus efficaces face aux trafics.
La dispensation à l’unité, chère aux pouvoirs publics, est rémunérée un euro et elle est de plus plafonnée à 500 euros par an. N’est-ce pas un flop annoncé ?
Nous avons fait trois choses : premièrement, nous généralisons le dispositif, nous ne sommes plus au stade de l'expérimentation, deuxièmement nous valorisons cet acte, il y a quand même un euro de plus qui s'ajoute aux honoraires existants, et enfin on élargit le champ de cette dispensation aux stupéfiants. Dès lors qu'on a un triple mouvement positif et incitatif et qu'on a des partenaires conventionnels qui ont signé, il n'y a pas de raison pour que les pharmaciens ne s'engagent pas à réaliser cette dispensation. Elle s'inscrit aussi dans une brique de la convention qu'on a voulue plus « verte » puisque cela contribue à la lutte contre le gaspillage.
Deux nouvelles missions, le pharmacien correspondant et la dispensation à domicile, sont-elles destinées à insuffler un nouvel élan à l'exercice coordonné ?
Il faut tout d'abord bien cadrer ces sujets. La dispensation à domicile ne relève pas du tout de l'exercice coordonné. Le pharmacien pourra être rémunéré pour les assurés dans le cadre du programme PRADO, programme visant à organiser la sortie d'hôpital. Quant au pharmacien correspondant, il s'agit bien, dans ce cas, d'exercice coordonné, comme le prévoit le texte réglementaire. On a simplement ajouté une valorisation de ce rôle. Ainsi, tant pour la dispensation à domicile que pour le pharmacien correspondant, la convention ouvre la voie et commence à mettre très concrètement une rémunération sur des missions qui jusqu'à présent n'étaient pas valorisées. Elle le fait pour le pharmacien correspondant dans le cas d'un zonage territorial parce que c'est une première étape. Et aussi parce que nous pensons qu'il a justement encore plus sa place dans les zones où il faut économiser du temps médical. Cela a donc tout son sens pour l'accès aux soins. On espère que ça va prendre car pour la première fois l'assurance-maladie reconnaît officiellement ce rôle avec une rémunération qui lui est attachée.
C'est vrai par ailleurs qu'on continue à pousser à un mouvement de coordination des soins de ville dans lequel les pharmaciens s'inscrivent, les CPTS, les MSP, les ESP, d'où la valorisation importante de la participation à un « exercice coordonné ».
Que répondez-vous aux syndicats qui objectent que la dispensation à domicile est moins valorisée qu’une livraison par Uber ou La Poste, et ce sans conseil officinal ?
Il n'aura pas échappé à vos lecteurs que ni Uber, ni La Poste ne sont remboursés par l'assurance-maladie ! C'est quand même une grande différence. Les syndicats revendiquent depuis de longues années une rémunération pour cette activité, d'où une première traduction dans la convention. On évaluera ce dispositif. Par ailleurs, il faut préciser que le conseil officinal est rémunéré en plus de la rémunération du déplacement puisque les honoraires sont associés à cette dispensation à domicile.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises des « premiers pas », des valorisations qui donneront lieu à des évaluations. Est-ce à dire que vous envisagez déjà la deuxième phase de cette convention ? Comment aborderez-vous le volet économique dans une phase post-Covid ?
Nous sommes dans un contexte économique très particulier puisqu'à l'investissement extraordinaire des pharmaciens a répondu un investissement tout aussi exceptionnel de l'assurance-maladie à hauteur de 95 000 euros en moyenne de rémunération supplémentaire en 2021, pour les tests, la vaccination et la dispensation de masques. Et pour le seul mois de janvier, cet investissement supplémentaire se chiffre à 30 000 euros, en moyenne par officine, en raison de la vague Omicron. Il faut bien comprendre les deux termes de l'équation. De ce point de vue, les conditions économiques des officines ont été fortement impactées par le Covid, mais dans le bon sens !
L'assurance-maladie a été force de propositions et nous avions tenté d'engager une étape supplémentaire de transformation des honoraires, notamment en baissant le plafond de marge sur les médicaments chers contre une revalorisation de certaines rémunérations notamment à l’ordonnance, rémunérations moins sensibles aux volumes de boîtes délivrées. Ces propositions suivaient les orientations de la lettre de cadrage du ministre. Les syndicats n'ont pas voulu donner suite, j’en ai pris acte.
En 2023, nous aurons plus de recul et il nous appartiendra de faire le bilan en espérant que la crise sera derrière nous et que nous pourrons tirer les enseignements de cette période-là. Et construire avec les partenaires conventionnels la trajectoire pour les prochaines années.
Qu’en sera-t-il alors des revalorisations d’honoraires, des astreintes et des gardes, tout ce qui permet d’assurer la permanence des soins et au-delà la pérennité économique de l’officine et le maillage du réseau ?
La permanence des soins a été clairement l'un des sujets sur lesquels nous avons très rapidement décidé qu'il nous faudrait plus de temps à la fois pour que la vision ne soit pas brouillée par l'impact du Covid mais aussi pour que nous posions tous les éléments. La situation des pharmacies dans les zones sous denses et l'avenir du réseau officinal sont clairement des sujets que nous aborderons dans la prochaine étape des discussions.
L'assurance-maladie est attachée à un accès aux produits de santé sur le territoire de la façon la plus simple et la plus efficace possible qui soit pour nos assurés. Toujours dans le chapitre de la permanence des soins, nous avons mis sur pied un chantier avec les pharmaciens afin de donner aux assurés une visibilité plus simple sur les pharmacies de garde, notamment le dimanche. Cela nous tient à cœur.
Cette convention est une bonne illustration qu'avec les professionnels de santé nous pouvons investir dans l'accès aux soins, la qualité des soins et la prévention mais aussi faire des choix économiques rationnels.
Il faut tout de même rappeler que dans le contexte extraordinaire que nous connaissons, cette convention est un investissement supplémentaire de 130 millions d'euros de l'assurance-maladie et des organismes complémentaires en faveur des pharmaciens. Ce qui est loin d’être négligeable au regard des déficits de l'assurance-maladie.
* Union des complémentaires santé.
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