Le Quotidien du pharmacien. — Comment analysez-vous en tant qu’avocat spécialisé dans la défense des professionnels de santé, la recrudescence des signalements de patients ?
Me Maud Geneste.- La recrudescence des signalements est un phénomène nouveau, mais en qualité d’avocat, nous avons peu l’occasion d’en connaître dans la mesure où ils restent bien souvent à l’état de signalements, les conseils de l’Ordre ayant la capacité de les canaliser. En effet, un simple signalement ne fait l’objet que d’échanges entre les parties si le conseil de l’Ordre n’estime pas y donner suite par la voie d’une plainte contre le praticien. Dès lors, il est rarement fait appel à un avocat.
En revanche, les plaintes et action en justice, pour lesquelles nous intervenons, sont en hausse depuis plusieurs années. Cela s’explique par la connaissance qu’ont les citoyens de leurs droits, et de la mise à leur disposition d’outils de plus en plus simples et de moins en moins onéreux pour les faire valoir. D’un point de vue plus d’observateur que de juriste, je m’aperçois que la diffusion de masse, et par là même la vulgarisation de la connaissance, sont à l’origine d’un phénomène de « dé-hiérarchisation ». Le citoyen, se prétendant informé et ayant la prétention de pouvoir accéder à toute l’information, en toutes matières, de manière instantanée, se sent investi des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le citoyen s’estime capable de légiférer mieux que le politique, de mettre en application les lois mieux que l’administration, et de juger mieux que le juge.
De la même manière, le patient n’admet plus la hiérarchique de la blouse blanche. Les diagnostics et actes sont mis en doute. Dans le cas de l’épidémie que nous traversons ces réactions sont exacerbées. Les citoyens qui savaient garder un certain sang-froid et accepter les contraintes liées à un métier qu’ils ne connaissent pas, remettent eux aussi en cause ce savoir. Le patient ne supporte plus ni la hiérarchie, ni l’attente, ni l’incertitude, ni le risque, bien qu’une crise soit par nature marquée par l’incertitude.
Au surplus, l’exagération médiatique et l’assimilation à une guerre du virus Covid, justifiant à tort, ou à raison, des mesures relevant d’un état de siège, ont de quoi susciter des réactions exacerbées contre tous les représentants du « pouvoir ». S’en suivent colère et agressions, que le pharmacien subit de plein fouet, car il est l’interlocuteur direct et de terrain des « mesures » sanitaires gouvernementales (masques, tests Covid, et maintenant vaccin). Outre le fait qu’il est suspecté d’être à la solde du « complot politico-industriel » entre le gouvernement et les laboratoires…
Comment le pharmacien et l’équipe officinale peuvent-ils prévenir des signalements abusifs ?
S’ils le pouvaient, ils devraient pouvoir afficher que la pharmacie n’est pas un exutoire ! Aussi terrible que cela puisse paraître, dans la situation actuelle, il faudrait sans doute s’interroger sur une formation des équipes à réagir de manière sereine à ces débordements. À l’instar des formations que suivent les personnels des grands hôtels face à une clientèle bien souvent irrespectueuse.
La judiciarisation de notre société est observée avec une certaine fatalité. Ne peut-on cependant pas mettre un frein à ces excès ?
Il faut absolument rappeler à tout citoyen qui s’apprête à émettre un signalement ou à déposer plainte, qu’il ne peut le faire sans fondement. Il convient toutefois de distinguer entre signalement et plainte. S’agissant d‘une plainte, il doit être signifié de manière explicite que toute saisine abusive du Conseil de l’Ordre est passible d’amende selon l’article R741-12 du code de justice administrative.
S’agissant d’un signalement, il n’y a pas de sanction pour signalement abusif, dans la mesure où c’est le conseil de l’Ordre qui réfère les comportements abusifs en ne donnant pas suite. Pour autant, ces signalements sont préjudiciables aux pharmaciens, et il conviendrait de rappeler que l’auteur d’un signalement infondé peut faire l’objet d’une action en diffamation. Les sites qui recueillent les signalements et les plaintes de patients devraient signifier ces sanctions, cela réfrénerait peut-être quelques élans.
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