À l’image d’un réseau officinal très mobilisé tout au long de la crise sanitaire, le marché de la transaction est resté en alerte pendant la période du confinement. Potentiels acquéreurs et futurs cédants ont continué à s’y intéresser de près. Preuve de la robustesse, sinon de la résistance du secteur officinal, comme le soulignent les acteurs.
Certes, au début de la période, quelques études de notaires avaient fermé leurs portes, les greffes des chambres de commerce étaient souvent inaccessibles, ou encore les inventoristes ne pouvaient se rendre sur les lieux. Mais très vite, des solutions électroniques se sont mises en place. « Ce qui n’a pu être conclu a été gelé et reporté après le déconfinement », se félicite Hugues Spriet, dirigeant du cabinet Pharma Cession Conseil, présent dans les Hauts-de-France, dans le Grand Est et bientôt en Normandie. Il remarque que les banques ont alors joué le jeu et maintenu les taux promis avant la crise. Résultat, aucune défection n’a été à déplorer au sortir du confinement. Et l’environnement reste plutôt clément. « Le secteur bancaire continue à soutenir les pharmacies, les considérant " bancables " au même titre que les boulangeries et les tabacs », constate Frédéric Zwiller, dirigeant de l’Auxiliaire Pharmaceutique, à Paris.
L’officine redécouverte
La crise aura finalement laissé peu de traces sur les mouvements d’officines, mis à part les deux mois « blancs » subis par les acteurs du marché. « Ceux-ci sont d’ailleurs arrivés à un consensus qui consiste à exclure les deux mois du confinement de l’évaluation des officines », note Aurélien Filoche, codirigeant de la plateforme Oui Pharma. Après cette parenthèse, les affaires ont-elles donc repris comme dans l’ancien monde ? Pas si sûr. Car la crise semble avoir réveillé l’intérêt des diplômés pour l’officine, un métier très médiatisé et qui a su prouver son utilité au plus fort de l’épidémie. L’appétence des acquéreurs est bien réelle. « Dès le déconfinement, certains n’ont pas hésité à prendre leur voiture et franchir la limite des 100 kilomètres pour visiter une officine ! », se réjouit Jean-Luc Guérin de la société Pharmathèque, à Pau.
Cet engouement pour l’officine se traduit dans les chiffres relevés par la plateforme Oui Pharma. « Nous avons enregistré plus de 200 % de demandes supplémentaires : des étudiants, mais aussi des diplômés travaillant dans d’autres secteurs de la pharmacie, et qui ont découvert les débouchés offerts par l’officine », note Aurélien Filoche. À l’inverse, côté cédants, les statistiques n’ont pas évolué de la même manière. « Nous avons perdu 40 % des annonces de vendeurs, et même 30 % de ces annonces dans la journée qui a suivi la déclaration du confinement », se souvient le dirigeant de Oui Pharma. Ces titulaires craignaient que la baisse de leur activité ne vienne infléchir le prix de vente.
Rendez-vous dans six mois
À l’extrême opposé, d’autres titulaires, épuisés par la crise, inquiets quant à l’inflexion de leur chiffre d’affaires, ont voulu accélérer leur projet de cession, jusqu’alors prévu à l’échéance de deux ou trois ans. « Jamais je n’avais eu autant d’appels de pharmaciens. Cela ne m’était jamais arrivé que des prospects, vus il y a à peine deux mois, me rappellent aussi vite », renchérit Frédéric Zwiller. Pendant le confinement, les rapports de force semblent s’être inversés. « Les primo-accédants le ressentent comme une opportunité et dépassant les projections à court terme, ils sont persuadés qu’ils retrouveront le flux perdu pendant le confinement. Ils jouent sur les notions de risque et de temps pour demander dans les négociations au confrère qui vend de prendre sa part », décrit-il.
L’épidémie de Covid-19 aura fait plus que d’accentuer les traits d’un marché marqué par une demande toujours plus abondante que l’offre. La crise sanitaire pourrait même remodeler les typologies officinales, voire chambouler certains codes. La valorisation de la superficie d’une officine apparaît plus que jamais essentielle pour les transactionneurs. « La surface client qui permettra d’accueillir le patient est la valeur ajoutée de demain », estime Frédéric Zwiller. Même analyse pour Hugues Spriet : « Eu égard à l’explosion de la téléconsultation pendant le confinement, je place désormais la surface de l’officine comme troisième critère d’évaluation d'une officine, après l’EBE et le chiffre d’affaires, et avant même l’environnement médical. » Sans être aussi catégorique, Bastien Bernardeau, notaire à Poitiers et président du réseau Pharmétudes, estime que l’évolution des téléconsultations sera sans aucun doute un indicateur à suivre dans les prochains mois et qui pèsera sur l’avenir des officines.
Un constat est d’ores et déjà établi, la crise a révélé les forces et les failles des différentes typologies d’officine. Et soulève de nombreuses questions quant aux critères de valorisation des fonds. Une officine de centre commercial, soumise, comme on l’a vu, aux aléas des consignes sanitaires, continuera-t-elle à être estimée de la même manière qu’autrefois ? A contrario, le prix d’une officine de quartier pourra-t-il désormais tirer parti du facteur de proximité, véritable atout pendant l’épidémie ? Quant à l’évaluation d’une pharmacie essentiellement axée sur le tourisme, ne risque-t-elle pas d’être fortement pénalisée à l’avenir ? « Pendant le Covid, les forces d’hier sont devenues des faiblesses. La pharmacie qui sortira du lot sera celle qui pourra démontrer la mixité de sa clientèle, car cette mixité la rendra plus robuste », affirme Frédéric Zwiller.
Difficile de dire aujourd’hui ce que seront le niveau des cessions et les nouvelles tendances du marché dans « le monde d’après ». Les six prochains mois seront déterminants. Toutes les cartes ne sont cependant pas dans les mains des acteurs du secteur, comme le rappelle Bastien Bernardeau. Les pouvoirs publics vont sans aucun doute prendre position dans les mois à venir sur le maillage territorial. Le décret sur les territoires aidés n’étant toujours pas sorti, la donne changera-t-elle dans le soutien aux officines et, avec elle, le paysage de la transaction ? Autant d’incertitudes qui subsistent alors que demeure une autre inconnue : comment les consommateurs se comporteront-ils face au contrecoup social de la crise ?
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